Le Vendée Globe 2012 de Jérémie Beyou n’aura duré que neuf jours à cause d’une avarie sur son vérin de quille. Pour autant, le skipper de Maître CoQ n’en a pas perdu sa bonne humeur et entend bien jouer les premiers rôles dans les années à venir. L’occasion pour le skipper de Lorient de nous faire part de ses ambitions et de revenir sur le rachat du Banque Populaire d’Armel Le Cléac’h, deuxième du Vendée Globe 2012-2013.
Jérémie Beyou, comment vous sentez-vous ?
Je vais plutôt bien. Je suis quelque part content que le Vendée Globe soit fini, que la bagarre et la tension médiatique soient retombées parce que ce n’est jamais facile d’être en marge de tout ça même si nous avons relancé plein de choses très rapidement. Nous avons eu évidemment des échos de la course, les gens m’en parlent, me disent que j’aurais pu être aux avant-postes. Je ne suis pas mécontent que cela soit fini.
Êtes-vous serein ?
Effectivement, c’est un réel confort de savoir où nous allons pour les quatre années à venir. Je n’ai pas eu ce confort-là avec le dernier Vendée Globe. Maître CoQ, c’est une grosse PME mais ce n’est pas non plus une multinationale et ils ont pris la décision courageuse, audacieuse, ambitieuse, d’annoncer que nous allons être ensemble pour les quatre ans à venir. Je pense qu’il y a plein d’autres entreprises qui ont la dimension de Maître CoQ, voire un peu moins grosses, qui pourraient le faire, dans des budgets vraiment raisonnables. Cela met un confort qui permet d’être ambitieux et compétitif. Nous sommes vraiment conscients de la chance que nous avons, nous sommes dans de bonnes conditions pour bien travailler. C’est un grand plaisir et une grande fierté de travailler dans des conditions comme celles-ci.
Avez-vous recommencé à naviguer ?
J’ai repris la navigation assez tôt, en Figaro pour l’instant. On a mis le petit Maître CoQ à l’eau vers les 20 janvier et depuis nous nous entraînons à Port-la-Forêt en prévision de la Solitaire du Figaro. Nous avons essayé de ne pas perdre de temps non plus puisque nous avions un acheteur pour le 60 pieds Maître CoQ 1 et rapidement derrière, nous nous sommes portés acquéreur de Banque Populaire.
« Nous avons la chance d’avoir des partenaires qui se sont engagés dans la durée »
La vente de Maître CoQ 1 s’est-elle faite dans le but de racheter un nouveau bateau ?
Nous avons la chance d’avoir des partenaires, avec Maître CoQ, les éleveurs et les recycleurs bretons, qui se sont engagés dans la durée. Nous avons de la visibilité. Nous sommes toujours dans les mêmes types de budget, vraiment raisonnables. Pour essayer de concurrencer les plus gros budgets, il faut donc être malin. Après avoir mis le premier bateau en vente, nous étions sur le qui-vive en nous disant que si nous avions un acheteur cela nous permettrait peut-être de rebondir sur un bateau plus récent. L’opportunité s’est présentée et dès que nous avons conclu la vente, j’étais très intéressé par le bateau d’Armel. Nous avons donc posé une option sur ce bateau et nous étions très contents de voir que le bateau était revenu en un morceau. Sur les premières observations et expertises que nous avons faites, le bateau est plutôt en bon état. Nous repartons donc avec une monture un peu plus performante et a priori assez saine.
Quand le rachat de Banque Populaire a-t-il été conclu ? Y avait-il d’autres acheteurs ?
© JEAN MARIE LIOT / DPPI
C’est tout récent, environ un mois. Je pense qu’il y avait d’autres acheteurs mais nous avions pu nous positionner assez rapidement et de façon assez formelle car nous avions la certitude de vendre notre précédent bateau. Du coup nous avions un petit apport pour acheter le second, notre banque nous a donc rapidement répondu favorablement pour le financement de l’emprunt. Il faut savoir que ce n’est pas Maître CoQ qui achète le bateau mais ma petite société à travers un apport et un emprunt bancaire. C’est un hasard, mais notre banque, c’est la Banque Populaire, avec qui nous travaillons depuis très longtemps, depuis le début de l’entreprise. Ils sont partenaires de toutes nos aventures et ils ont compris que pour être compétitif, nous devions avoir rapidement des financements. Ils l’ont été et cela nous a permis de nous positionner très rapidement par rapport à Banque Populaire. Il y a d’autres skippers qui s’étaient renseignés de très près pour ce bateau-là.
Quels sont les éléments qui ont motivé votre choix ?
Grosso modo, les ventes étaient assez limitées. Il y avait le choix entre Virbac Paprec 3 et Banque Populaire. PRB a été mis en vente plus tard et plus cher. Virbac reste un super bateau mais nous voulions dans nos projets avoir de l’équipement en double et notamment deux mâts et deux quilles, ce qui est le cas de Banque Populaire. Je sais aussi qu’Armel est quelqu’un de soigneux avec ses bateaux. Même si on n’est jamais à l’abri de taper quelque chose ou d’avoir une grosse avarie, je savais qu’il allait me rapporter un bateau en bon état donc le choix technique s’est très vite tourné vers Banque Populaire. De plus, nous avons un très rapport avec le Team Banque Populaire parce que j’ai beaucoup navigué avec eux et Ronan Lucas est quelqu’un que je connais très bien, donc la relation a été très saine dès le départ.
« Il faudra être observateur »
Avez-vous déjà prévu d’apporter des modifications ?
J’ai quelques idées, mais avant il faut vraiment naviguer sur le bateau pour s’en rendre compte de façon certaine. Nous pensons déjà à quelques grosses modifications qui pourraient être faites. Mais encore une fois nous ne sommes pas le plus gros budget de la flotte. La vente de Maître CoQ 1 et le rachat de Banque Populaire ont vraiment été deux opportunités. Nous pourrons nous permettre de faire des évolutions mais elles resteront petites. Dans nos limites de budget, nous ne pourrons jamais révolutionner le bateau d’une année à l’autre. Donc cette année nous allons faire des tout petits riens. Nous allons vraiment naviguer sur le bateau et voir comment il se comporte. La concurrence va continuer à progresser. En achetant ce bateau-là, on s’est rapproché des bateaux les plus rapides comment MACIF, PRB ou Poujoulat. Mais on sait par exemple que sur MACIF, François a déjà prévu pas mal d’optimisations. Nous, nous ferons ce que nous pourrons dans le cadre de notre budget, mais nous ne pourrons peut-être pas faire tout ce que nous voulons. C’est tentant, mais il faut être malin. Il faut peut-être laisser les autres faire d’abord, voir si ça marche et puis copier derrière. Nous n’avons pas le projet pour être avant-gardistes et pour faire des optimisations dans tous les sens. Il faudra être observateur.
D’un point de vue sportif, quels sont vos objectifs ?
© JEAN MARIE LIOT / DPPI
Avec Maître CoQ sur le Vendée, je pensais qu’il y avait la place pour faire dans les cinq premiers. Alex Thomson a montré que sur les casses techniques, celle de Jean-Pierre notamment, il y avait moyen de faire un podium. J’ai beaucoup regardé ce qu’Alex a fait parce que nos bateaux avaient des potentiels très similaires. Avec le nouveau bateau, l’objectif est de faire des podiums, notamment sur la transat Jacques Vabre et sur la Route du Rhum derrière. Il y a beaucoup de travail d’ici là. Il faut bien préparer le bateau, essayer de le faire progresser un petit peu et bien s’entraîner avec son coéquipier.
Le Vendée Globe 2016 fait-il toujours partie de vos priorités ?
Pour bien préparer un Vendée Globe, il faut commencer très tôt et nous avons cette chance, donc nous allons accumuler beaucoup d’expérience d’ici là. Maintenant, nos objectifs restent sur le moyen terme, sur les deux ans à venir. Aujourd’hui nous ne travaillons pas pour le Vendée Globe. Néanmoins nous savons que tout le travail que nous faisons là et toute l’expérience que nous acquérons nous serviront pour le prochain Vendée Globe. Mais notre objectif, le développement et les entraînements que nous faisons, ne sont pas pour le prochain Vendée mais vraiment pour les deux années à venir. Le Vendée Globe est quand même dans longtemps, et c’est un format de course assez spécifique, très différent d’une transat Jacques Vabre ou d’une Route du Rhum, donc on ne développe pas exactement les mêmes qualités sur un bateau et aussi sur l’équipage. De plus, on ne sait pas encore où se situera la jauge pour le prochain Vendée Globe. C’est difficile de faire des plans sur la comète. Nous pensons qu’avec Maître CoQ 2, nous avons un bon bateau pour la Jacques Vabre et la Route du Rhum. On espère qu’à l’IMOCA, ils seront assez intelligents pour que les meilleurs bateaux existants ne soient pas dépassés par des bateaux neufs qui seraient construits dans les années à venir et qu’on pourra garder ces bateaux pour le prochain Vendée Globe. Mais on ne peut pas en jurer. C’est pour cela qu’il faut vraiment se concentrer sur le moyen terme.
Qu’attendez-vous par rapport à l’évolution de la classe IMOCA ?
Cela fait deux ans que j’en parle. Il faut, ou il aurait fallu, qu’on soit capable de stopper l’inflation budgétaire, de prendre des décisions assez tranchantes, assez engagées, pour aussi réduire la casse sur les bateaux. Il y a une solution qui est celle de passer à la monotypie, à laquelle je suis favorable. Mais plus on tarde, plus c’est compliqué à mettre en œuvre. Je pense que nous avons perdu une année, nous allons nous réunir au printemps. Maintenant, le Vendée Globe est passé, il y a eu de la casse, on s’y attendait. Ça n’a pas été pire que les éditions précédentes. Donc est-ce que nous pouvons faire une cote mal taillée en essayant d’être restrictifs sur certains coefficients de sécurité sur les quilles, sur des matériaux ? Est-ce qu’on pourrait essayer, et ça c’est important, de faire en sorte que les bateaux neufs ne soient pas plus rapides que les bateaux existants ? Il faut être optimistes dans les décisions que nous allons prendre. J’avoue que si nous avions pu prendre des décisions l’année dernière, cette année tout le monde aurait su où aller et ça aurait peut-être aidé la classe. Il n’est jamais trop tard. Il faut vraiment que nous allions dans le sens de ‘‘sécuriser les bateaux, réduire les coûts, augmenter la possibilité d’accès à cette classe à des gens qui viendraient par exemple de la Solitaire du Figaro’’. Nous allons en discuter.
Propos recueillis par Romain Delaume