04 Septembre 2015 - 17h39 • 16250 vues

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Prometteuse sur le papier, l’innovation est désormais mise à l’épreuve des faits. Quatre 60 pieds IMOCA équipés de foils sont déjà à l’eau (Safran, Banque Populaire, Edmond de Rothschild et Vento di Sardegna) et ils seront bientôt rejoints par deux nouvelles unités (Hugo Boss et St Michel-Virbac). Quels enseignements tirer des premières confrontations entre les IMOCA à foils et ceux d’ancienne génération utilisant des dérives « classiques » ? Eléments de réponse avec Quentin Lucet et Guillaume Verdier, architectes des cabinets VPLP et Guillaume Verdier Architecture Navale.
 

Quelques semaines après la Fastnet Race et au lendemain d’un stage d’entraînement à Port-la-Forêt, que peut-on dire sur les performances des IMOCA à foils ?
Guillaume VerdierGuillaume Verdier : « Comme nous l’avions calculé, les foils sont efficaces aux allures de reaching. Je viens de passer 24h à bord de Safran à l’occasion du stage d’entraînement. Dans 15 à 20 nœuds de vent, nous avons fait des pointes à 28 nœuds ! J’ai été frappé par le comportement du bateau qui est plus sain. Grâce à l’effet des appendices porteurs, il tape moins et les efforts sur la structure sont amortis. On ne s’y attendait pas spécialement en dessinant les foils et c’est une bonne surprise. En revanche, on a vu sur la Fastnet Race que les nouveaux 60 pieds souffrent au près, d’autant plus dans des conditions légères. Les dérives droites sont alors plus efficaces. De plus, la nouvelle jauge impose un mât et une quille standardisés, ce qui entraîne une augmentation de la masse des IMOCA de dernière génération. »



Quentin Lucet, architecte au cabinet VPLPQuentin Lucet : « Les courses disputées jusqu’à présent (Record SNSM, Artemis Challenge, Fastnet Race) ont été à l’avantage de certains des meilleurs bateaux de la génération du Vendée Globe 2012/2013 (PRB, SMA, Quéguiner-Leucémie Espoir). Mais rappelons que ces épreuves se sont déroulées sur des petits parcours et globalement dans 10-15 nœuds de vent. Or, les nouveaux 60 pieds n’ont absolument pas été dessinés pour ces conditions qui ne sont pas représentatives de ce qui peut se passer dans le Vendée Globe et même la Transat Jacques Vabre. Il est par ailleurs logique que les IMOCA optimisés depuis des années soient plus performants que des bateaux mis à l’eau récemment. Les équipes et les architectes doivent donc garder la tête froide. »

« Trouver le meilleur compromis pour accroître la polyvalence des bateaux. »


Morgan Lagravière sur le foil de Safran© Jean-Marie Liot / DPPI / SafranOn est donc encore en pleine phase d’apprentissage ?
G.V. :
« Oui. On voudrait que les bateaux neufs aillent plus vite tout de suite mais ce n’est pas toujours aussi simple. Du fait de la limitation du nombre d’appendices à cinq, il faut trouver les meilleurs réglages permettant de sustenter le bateau aux allures portantes et de créer une force antidérive au près, ce qui est loin d’être évident. Nous pensons avoir fait le bon choix en vue du Vendée Globe et nous faisons en sorte de valider sur l’eau nos calculs théoriques. Nous avons encore du temps, il serait vraiment dommage de ne pas essayer cette nouvelle voie. Cet apprentissage est passionnant, mais aussi source de doutes. Ce n’est pas tout blanc ou tout noir. »
Q.L. : « La jauge interdit de régler dynamiquement l’incidence du foil. Il faut donc trouver le meilleur compromis pour accroître les performances au reaching et atténuer le déficit aux allures de près. Ce sont des calages et des réglages très fins qui permettront, nous l’espérons, d’augmenter l’efficacité des foils, et donc de rendre les bateaux plus polyvalents. Nous sommes en période de compréhension de ces foils. Nous avons vu des phases vraiment prometteuses, et il faut continuer à naviguer pour affiner leur utilisation. »

Certes, mais les bateaux à foils, même optimisés, resteront moins polyvalents que ceux à dérives droites comme PRB ou SMA
Q.L. : « Oui, les nouveaux IMOCA sont plus typés pour certaines conditions, ils ont des allures de prédilection. Le choix des foils constitue une prise de risques, mais une prise de risques raisonnée car nous avons fait énormément d’études et de routages sur le parcours du Vendée Globe. Mais on peut toujours tomber sur une année où les conditions sont particulièrement fortes ou légères… »

Les foils sont-ils parfaitement identiques sur tous les bateaux ?
G.V. : « Les aspects sont similaires mais il y a tout de même des petites différences. Chaque skipper nous a fourni un cahier des charges spécifique pour l’utilisation des foils, nous avons respecté leurs choix respectifs. »
Q.L. : « Il est vrai que les foils se ressemblent beaucoup à première vue. En fait, il y a des variations principalement au niveau du « shaft » (partie qui se rétracte dans le puits, NDR) tandis que le « tip » (sorte d’ailette perpendiculaire au shaft) est quasi identique d’un bateau à l’autre. »


« Des choix difficiles à l’issue de la Transat Jacques Vabre et de la BtoB »

Peut-on imaginer un retour à des dérives droites « classiques » après la Transat Jacques Vabre et de la Transat BtoB ?
G.V. : « Oui, ce n’est qu’une paire de dérives. Les bateaux ont été conçus pour pouvoir faire marche arrière. Tout reste possible. »

Q.L. : « Géométriquement, c’est quelque chose de tout à fait envisageable ; mais aujourd’hui cette réflexion est un peu prématurée. »

Un contrat d’exclusivité vous empêche de travailler sur les bateaux d’ancienne génération pour le développement des foils, et ce jusqu’au 1er janvier 2016. Etes-vous déjà sollicités par certains teams pour remplacer les dérives droites par des foils ?

G.V : « Toutes les équipes compétitives s’y intéressent mais elles observent, elles attendent de voir comment le vent tourne avant de tout changer. Pour elles aussi, il y aura un choix important à faire en fin d’année... »



Propos recueillis par Olivier Bourbon / agence Mer & Média