2020 2021

Yannick Bestaven, the best !

Le contexte sanitaire inédit, lebrouillard sur la ligne, le sauvetage de Kevin Escoffier, la météo peu propice à la vitesse, le panache des dérives droites, la régate au contact sur les trois océans, le jeu des compensations...La 9e édition du Vendée Globe a suivi un scénario insolite et envoûtant !

Le Vendée Globe aura-t-il lieu ? Longtemps, la question s’est posée. Saisie par la vigueur de la pandémie de la covid-19, la planète fut mise à l’arrêt pendant des semaines début 2020. Un temps repoussé durant l’été, l’ombre d’un nouveau confinement revient planer au-dessus de l’organisation du tour du monde en solitaire à l’automne, mais le Vendée Globe tient bon. Une dizaine de jours après l’ouverture du village,il faut pourtant concéder à sa fermeture : la population est de nouveau sous cloche. Il faut alors se résoudre à cette image : les 33 concurrents descendront un chenal des Sables-d’Olonne déserté avant de s’élancer à l’assaut du globe. Pour autant, cette édition - disputée en plein confinement - a rencontré un immense succès, battant tous les records d’audience.

Coup d’envoi à retardement

Prévue à 13h02 le dimanche 8 novembre 2020, le départ n’est finalement donné qu’une heure et 18 minutes plus tard, la faute à une poche de brouillard venue s’alanguir sur la ligne. À 14h20, les concurrents s’élancent à l’assaut de deux dépressions typiques de l’Atlantique nord, puis d’une troisième, Thêta, présentée comme une tempête tropicale. Le lendemain du départ, Fabrice Amedeo (Newrest – Art & Fenêtres) fait demi-tour vers les Sables pour un bris de hook de gennaker qui a engendré des dommages dans le mât. Il repartira deux jours et demi plus tard. Le 11 novembre, Jérémie Beyou (Charal) enterre ses espoirs de victoire : il doit à son tour revenir aux Sables-d’Olonne afin de réparer les dégâts causés par un choc avec un ofni, un objet flottant non identifié. Arrivé aux Sables le 14 novembre, il en repartira le 17, avec neuf jours de débit sur la tête de la flotte. La veille, Nicolas Troussel (CORUML’Epargne) a démâté. Il est le premier à abandonner.

Les dérives droites font de la résistance

Le 18 novembre, Alex Thomson (HUGOBOSS) est en tête à l’équateur, au dixième jour de course, soit 16 heures de plus qu’il y a quatre ans. Quatre jours auparavant, les dérives droites Jean Le Cam (Yes WeCam!), Benjamin Dutreux (OMIA – Water Family) et Damien Seguin (GroupeAPICIL) ouvraient encore la marche. Dans les dépressions, ces IMOCA se montrent plus agiles que les foilerset ce mano a mano entre ces bateaux de générations différentes n’est pas près de s’arrêter.

Deux jours plus tard, Alex Thomson avance au ralenti le long des côtes sud-américaines. En proie à un problème structurel, le Britannique entame les grands travaux tandis que Thomas Ruyant (LinkedOut) et Charlie Dalin (APIVIA) s’échappent. Devant eux, l’anticyclone de Sainte-Hélène se fait chiffon. Mal établi, mal fagoté, mal orienté, il s’étire déjà en lambeaux et va faire barrage. Le duo de tête s’y aventure avec trois cents milles d’avance sur Jean Le Cam, absolument redoutable dans le dessin de sa trajectoire.

Bricoler, abandonner ?

Les deux premières semaines ont parsemé quelques dégâts à travers la flotte : KojiroShiraishi (DMG MORI Global One) a recollé des pans entiers de sa grand-voile; Armel Tripon (L’OccitaneenProvence), qui a renoncé à rallier précocement la Corogne pour fixer une avarie de hook, fait contre mauvaise fortune bon cœur avec les moyens du moment sur le plus jeune bateau de la flotte ; plus bas, Isabelle Joschke a vu son balcon arrière arraché par une poulie d’écoute.

Alex Thomson, déjà bien occupé à diverses réparations sur la fin de la descente de l’Atlantique, percute un ofni. Son safran est endommagé, il déclare son abandon au large de Cape Town. Quelques jours plus tôt, Thomas Ruyant(LinkedOut) perd l’usage de son foil bâbord, fissuré. Un coup dur qui profite à Charlie Dalin (APIVIA) lequel s’échappe comme on s’échappe dans ce Vendée Globe : partiellement. Il est écrit que la flotte revient toujours par derrière !

La nuit la plus longue

Le 30 novembre, tandis que le leader se prépare à passer le cap de Bonne-Espérance, le PC course du Vendée Globe s’embrase, et passe au rouge de l’urgence absolue : Kevin Escoffier, alors 3e, n’a eu que quelques secondes pour prévenir son équipe technique : son IMOCA PRB s’est cassé en deux, il faut venir le chercher. Et c’est tout, faute de communication. Dans son écurie comme à la direction de course, on estime qu’il est sur un radeau de survie, privé de téléphone. Jean Le Cam (Yes WeCam!)alors 4e, Yannick Bestaven (MaîtreCoQ IV) 5e, Sébastien Simon (ARKEA PAPREC) 7e et Boris Herrmann (SeaExplorer – Yacht Club de Monaco) 8esont déroutés par Jacques Caraës, le directeur de course. Les quatre étaient dans le sillage de PRB et les recherches, hasardeuses mais ordonnées, débutent, suivant à la fois des positions émises par une balise de détresse et un maillage de la zone de naufrage définie en fonction des vents, des courants et de la dérive d’un radeau de survie. Douze heures durant, l’angoisse étreindra la flotte, la course et la France entière. À 2h18 heure française, Jean Le Cam annonce avoir repêché Kevin Escoffier. Et l’on respire enfin. Le 6 décembre, le rescapé sera transbahuté du bord de Yes WeCam! à celui de la frégate Nivôse.

Décision du jury

Cet incroyable événement survenu à quatre cents milles du cap de Bonne-Espérance aura des conséquences jusqu’aux Sables-d’Olonne : pour le temps qu’ils auront perdudans les recherches, les skippers déroutés obtiendront le 16 décembre des compensations de temps définies par le jury du Vendée Globe : 16h15 pour Jean Le Cam, 10h15 pour Yannick Bestaven, 6h pour Boris Herrmann. Pour Sébastien Simon, l’heure n’est déjà plus aux compensations : deux jours après le sauvetage, le skipper d’ARKEA PAPREC subit un choc avec un ofni : le foil tribord est abîmé, mais surtout le puits de foil et la cale basse ne sont plus solidaires du bateau, et l’eau s’immisce à l’intérieur. Le 4 décembre, le Vendéen prononce son abandon. Le lendemain, Sam Davies (Initiatives-Cœur) renonce à son tour, quille endommagée dans un contact sous-marin. Quatrième à abandonner dans cette édition, elle se promet de repartir hors-course une fois les réparations effectuées. Le port sud-africain accueillera bientôt un autre concurrent malheureux : Fabrice Amédéo, victime d’un black-out d’ordinateur.

Pendant ce temps, l’Indien a décidé de vider son carquois, et il fait cingler ses flèches. Tantôt vives, tantôt amorphes, elles perturbent les prévisions des skippers, provoquant le frisson du grand sud par une dépression qui s’enroule autour des îles Kerguelen, ou distillant l’apathie dans des zones de molles infranchissables, tant et si bien que, le 13 décembre à 11h25 TU, quand Charlie Dalin pare en tête le cap Leeuwin, le 4e s’appelle Jean Le Cam (à 232 milles), le 5e est Damien Seguin (233 milles, GroupeAPICIL) et le 6e est Benjamin Dutreux (252 milles, OMIA – Water Family). Devant ces trois bateaux anciens à dérives droites se sont glissés Thomas Ruyant, dauphin pas encore réellement diminué par l’absence de son foil bâbord, qu’il a coupé en pleine mer il y a peu, et Yannick Bestaven (3e, à 67 milles, MaîtreCoQ IV) qui a navigué comme un chef pour combler le retard accumulé lors des manœuvres de sauvetage de Kevin Escoffier. Ils sont même 10, jusqu’à Giancarlo Pedote (Prysmian Group) à se tenir en moins de 400 milles, dont Isabelle Joschke (MACSF) nouvelle porte-drapeau du peloton des six femmes embarquées dans l’aventure.

Changement de leader

Le Pacifique va encore rebattre les cartes. Charlie Dalin devra concéder plusieurs heures à ses premiers poursuivants pour bricoler et fixer une cale basse de foil de fortune… et Yannick Bestaven s’emparera de la tête, qu’il ne lâchera plus avant longtemps. Il franchira le cap Horn le 2 janvier après 55 jours de mer et avec plus de 160 milles d’avance sur Dalin et 460 sur Ruyant. Derrière, Damien Seguin passe son premier Horn en 4e position, moins de 24 heures après le leader, tout comme Benjamin Dutreux, 5e. De son côté, Louis Burton force le respect après avoir joué les forçats à l’abri de Macquarie Island, îlot perdu dans le grand sud de la Nouvelle-Zélande : trois ascensions dans le mât pour venir à bout d’une série d’avaries qui le privaient d’utiliser certaines voiles d’avant. Il passe le troisième grand cap du tour du monde en 6eposition et reste dans le match pour la suite.


La remontée de l’Atlantique sud sera fidèle aux schémas météo qui semblent devoir se répéter et qui, systématiquement, endiguent la progression des leaders. C’est au tour de Yannick Bestaven d’en subir les conséquences le long de la remontée de l’Amérique du Sud, d’autant que, on l’apprendra seulement plus tard, le skipper de MaîtreCoQ IV a perdu l’usage d’une bonne partie de ses voiles d’avant dans un méchant planté en pleine dépression au cap Horn, qui a arraché ses enrouleurs et le balcon avant.

Derniers abandons

Remarquable d’engagement, Isabelle Joschke a fini par jeter l’éponge le 9 janvier.Dans les mers du sud, la tige du vérin de quille de MACSF s’est désolidarisée de la tête de quille, qui menace désormais l’intégrité de son bateau et la contraint à l’abandon. Suivra celui de Sébastien Destremau dans le sud de la Nouvelle-Zélande.

Mais qui va gagner alors ?

À l’entame de la 10e semaine de course, la hiérarchie est à nouveau bousculée. En quatre jours, Yannick Bestaven perd la totalité des 439 milles d’avance qu’il avait réussi à cumuler sur LinkedOut durant la première moitié de la remontée sud-américaine. La meute des chasseurs (Ruyant, Dalin, Seguin, Dutreux, Le Cam, Pedote) déboule dans son tableau arrière. Les plus inspirés sont Boris Herrmann, auteur d’une remontée exceptionnelle et qui grimpe à la troisième place le long des côtes du nord du Brésil, dans le sillage de Louis Burton, premier à franchir l’équateur sur la route du retour, grillant la politesse pour 59 minutes à Charlie Dalin. Moins de quatre heures séparent les quatre premiers (y compris Herrmann et Ruyant).

Le retour dans l’Atlantique nord ne va pas contribuer à clarifier les positions de chacun, bien au contraire : une poche anticyclonique rend incertaine la route directe vers les Sables-d’Olonne, tandis qu’une dépression copieuse ouvre par l’ouest une option sur laquelle misent, le 25 janvier, Louis Burton, Thomas Ruyant et Yannick Bestaven, qui abattent leur joker. Charlie Dalin et Boris Herrmann ont choisi le sud, pour frôler le cap Finisterre, envisageant mieux finir que leurs concurrents directs pour le podium grâce à un meilleur angle au vent sur les derniers bords. Sur une route médiane, Damien Seguin et Jean Le Cam jouent placés.

Venu du cap Finisterre, Charlie Dalin (Apivia) coupe la ligne d’arrivée en premier le mercredi 27 janvier à 20h35. Arrivé par l’ouest, Louis Burton (Bureau Vallée 2), privé de la quasi-totalité de ses outils électriques, exception faite de son pilote automatique, est en proie à des problèmes de grand-voile, qui l’avaient déjà contraint à un arrêt épique dans le grand sud, coupe la ligneen 2e position le jeudi 28 à 00h45. Passé également par l’ouest, propulsé par ce qu’il lui reste de voiles d’avant, Yannick Bestavenboucle son tour du monde en solitaire en 3e position le 28 janvier à 04h19. Un temps qui vaut de l’or : ses 10h15 de crédit accordé par le jury international du Vendée Globe en font le grand vainqueur du Vendée Globe 2020-2021.

Si elle s’était arrêtée à ces trois arrivées, l’histoire aurait déjà été épatante. Mais ces 24 heures, qui auront vu 8 bateaux franchir la ligne – quelle densité ! –  n’avait pas encore livré toutes ses surprises. Car Boris Herrmann, à qui semblait promise une place sur le podium, heurte dans la nuit un palangrier à 80 milles du finish. Il y perdra un temps précieux, et au moins deux places au classement.

Parvenu aux Sables-d’Olonne en 4e position, dans le sillage du vainqueur, Thomas Ruyant rétrograde de deux places (6e) : le skipper de SeaExplorer – Yacht Club de Monaco avait un crédit de 6 heuresqui lui assurent la 5e place définitive, et le roi Jean, dernier à couper la ligne en ce 28 janvier, à 20h35, grimpe à la 4e place du classement général au bénéfice de ses 16h15 de compensation.

Damien Seguin n’a pas qu’un talent fou : il a aussi un sens de l’autodérision mordant. 6e sur la ligne d’arrivée, le double champion paralympique (il est né sans main gauche) se présente dans le chenal des Sablesd’Olonne grimé en Capitaine Crochet et s’empare d’une magnifique 7e place au classement. 7e à la ligne, Giancarlo Pedote (Prysmian Group) termine à une remarquable 8e place. Les 29 et 30 janvier, Benjamin Dutreux (OMIA - Water Family) et Maxime Sorel (V and B – Mayenne) prendront respectivement les 9e et 10 places, symbolisant la résistance des IMOCA à dérives droites, au nombre de quatre dans le Top 10 de cette 9e édition du Vendée Globe.

Le 3 février, Clarisse Crémer est la première femme de cette édition à franchir la ligne, en 12e position derrière Armel Tripon (11e), arrivé le 1er février. Symboliquement, la skipper de Banque-Populaire X devient la femme la plus rapide autour du monde en solitaire.

Le classement de l’édition

1. Yannick Bestaven (Fra, Maître Coq IV) : 80j 03h 44min
2. Charlie Dalin (Fra, APIVIA) : 80j 06h 15min
3. Louis Burton (Fra, Bureau Vallée 2) : 80j 10h 25min
4. Jean Le Cam (Fra, Yes We Cam!):80j 13h 44min 55s
5. Boris Herrmann (Mon, Seaexplorer - Yacht Club De Monaco) :80j 14h 59min
6. Thomas Ruyant (Fra, LinkedOut) :80j 15h 22min
7. Damien Seguin (Fra, Groupe APICIL) :80j 21h 58min
8. Giancarlo Pedote (Ita, Prysmian Group):80j 22h 42min
9. Benjamin Dutreux (Fra, OMIA - Water Family):81j 19h 45min
10. Maxime Sorel (Fra, V And B Mayenne) : 82j 14h 30min
11. Armel Tripon (Fra, L'Occitane en Provence) : 84j 19h 07min
12. Clarisse Cremer (Fra, Banque Populaire X) : 87j 02h 24min
13. Jérémie Beyou (Fra, Charal) : 89j 18h 55min
14. Romain Attanasio (Fra, Pure - Best Western Hotels and Resorts) :90j 02h 46min
15. Arnaud Boissieres (Fra, La Mie Câline - Artisans Artipôle) : 94j 18h 36min
16. KojiroShiraishi (Jpn, DMG MORI Global One) :94j 21h 32min
17. Alan Roura (Sui, La Fabrique):95j 06h 09min
18. Stéphane Le Diraison (Fra, Time For Oceans) :95j 08h 16min
19.Pip Hare (Gbr, Medallia) :95j 11h 37min
20. Didac Costa (Esp, One Planet One Ocean) :97j 06h 27min
21. Clément Giraud (Fra, Compagnie du lit –Jiliti) : 99j 20h 08min
22. Miranda Merron (Fra, Campagne de France) : 101j 08h 56min
23. Manuel Cousin (Fra, Groupe Sétin) : 103j 18h 15min
24. Alexia Barrier (Fra, TSE - 4myplanet) : 111j 17h 03min
25. Ari Huusela (Fin, Stark) : 116j 18h 15min

Les abandons

Sébastien Destremau (Fra, Merci)16 janvier, série d’avaries
Isabelle Joschke (Fra, MACSF)9 janvier, avarie de quille
Fabrice Amedeo (Fra, Newrest - Art et Fenêtres)11 décembre, black-out électronique
Sam Davies (Fra, Initiatives –Cœur)5 décembre, collision avec un ofni
Sébastien Simon (Fra, ARKEA PAPREC) 4 décembre, collision avec un ofni
Kevin Escoffier (Fra, PRB)30 novembre, naufrage
Alex Thomson (Gbr, HUGO BOSS) 28 novembre, collision avec un ofni
Nicolas Troussel (Fra, CORUM L'Épargne)16 novembre sur démâtage

Best of
de l'édition 2020-2021

Sam Davies
Manuel Cousin, bouée
Boris Herrmann qui profite du beau temps
Premier poisson volant pour Yannick Bestaven
Ile en vue sur Banque Populaire X
Regard tourné vers la tête de course
Edition 2020 - Giraud
Romain Attanasio - bonbons
Maxime Sorel - Montée mât
Skipper portant un dégusiement de père noel
Kojiro se déguise en lutin de Noël pour l'occasion
Benjamin Dutreux a dû monter au mât pour réparer un bout de voile cassé
Clarisse Cremer avec son gateau d'anniversaire
Kojiro Shiraishi sur son bateau
Edition 2020 - Giraud 2
Edition 2020 - Apivia
Edition 2020 - Apivia 2
Arrivée de Yannick Bestaven
Yannick Bestaven soulève la coupe de cette 9e édition du Vendée Globe
Pip Hare
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