Tous les jours, l’extrait d’un roman, d’un documentaire, d’un récit d’explorateur, d’un poème maritime, d’une observation d’un découvreur, d’un journal de bord… En liaison avec les conditions météorologiques ou en rapport avec un aperçu géographique des solitaires du Vendée Globe.
« Tout était sombre et s’assombrissait de plus en plus ; la clarté métallique de la lune, devenue plus terne, n’apparaissait que par moments derrière les nuages déchirés par la brise.
Cet état de la nuit a ses poésies, mais sinistres et menaçantes : il faut une longue pratique du métier pour ne pas en prendre une pénible impression. Cette nature voilée, avec ses voix sourdes, endort l’esprit et les sens ; on veut se soustraire à son influence par le sommeil auquel elle invite, et le sommeil est lourd et fatigant, l’imagination évoque des cauchemars affreux qui souvent survivent au réveil et oppressent longtemps de leur hideuse fantasmagorie.
Le navire, lui-même semble se prêter, comme un grand corps inerte, au ballottement des lames, et parfois, comme une poitrine humaine, il se plaint dans ses mâts, dans ses agrès, qui jettent de lamentables gémissements ou des cris aigus.
Tout concourt alors puissamment à répandre l’effroi dans l’âme du jeune marin, que son peu de pratique de la navigation n’a pas encore familiarisé avec les différentes physionomies de la grande nature qui l’entoure.
Cette nuit-là résumait toutes les conditions de sinistres menaces, tous les éléments de la terreur. La lune disparut ; au large, de sombres nuages se découpaient à l’horizon comme une ceinture de rochers ; ailleurs s’élevaient des forteresses dont je croyais voir se profiler la formidable artillerie ; plus loin, un champ funèbre où se tourmentaient milles tombeaux fantastiques, ensuite c’était un immense vaisseau qui se brisait comme une masse noire et sans forme précise ; tous ses mâts croulaient ou restaient comme suspendus à des lambeaux de voiles ; puis enfin s’élançaient çà et là des portiques ou des obélisques grêles qui se terminaient en fumée ou se précipitaient réciproquement l’un sur l’autre. Tout était heurté, bizarre, imprévu, on eût dit la mort traduite sous mille formes et milles caprices. »
Extrait par DBo. du livre de :
Louis Garneray - Scènes maritimes - Éditions La Découvrance