30 Octobre 2020 - 17h31 • 16741 vues

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Les foils et le potentiel de vitesse modifient logiquement l’abord stratégique du tour du monde. Un sujet complexe et passionnant qui prendra forme dès les premiers bords, le 8 novembre.

Puisque les meilleurs monocoques IMOCA alignent les milles à des vitesses quasi supersoniques, les skippers doivent aussi revoir la copie quant aux trajectoires optimales pour tirer la quintessence de leur machine. Or sur un tour du monde en solitaire sans escale, l’essentiel du parcours de plus de 21 600 milles s’effectue au vent de travers et aux allures portantes : quelles stratégies sont donc au programme de cette neuvième édition ?

© Maxime Horlaville / Disobey / Apivia Lors de la première édition du Vendée Globe en 1989, les skippers avaient la possibilité de s’appuyer sur des routeurs à terre qui influaient sur les trajectoires. Mais il y a trente-et-un an, la vitesse moyenne du premier vainqueur, Titouan Lamazou en 109 jours 08 heures 48 minutes et 50 secondes, dépassait à peine les 8,3 nœuds sur l’orthodromie ! Il y a quatre saisons, Armel Le Cléac’h ne mettait que 74 jours 03 heures 35 minutes et 46 secondes pour boucler la boucle à plus de 12,3 nœuds de moyenne… Or, avec les foils adoptés par près de la moitié de la flotte au départ le 8 novembre prochain, les performances ont nettement augmenté, en particulier entre 80° et 120° du vent réel, surtout avec les nouveaux appendices, plus longs, plus efficaces, plus sophistiqués.

Les spinnakers ne semblent plus d’actualité…

Ainsi en 1989, la plupart des solitaires avaient embarqué un (voire deux) tangon(s), avec parfois des jockey-pools (sorte de tangon apposé au mât afin d’éviter le raguage du bras contre les haubans), même si les monocoques avaient dans leur majorité des bout-dehors et des spinnakers asymétriques. Mais voilà : les « défricheurs d’océan » ne savaient pas encore à quelle sauce ils allaient être mangés, et comme le nombre de voiles n’était pas limité, la garde-robe était plus que fournie avec aussi des spinnakers symétriques en chaussette… Mais au fil des tours du monde en solitaire, les spinnakers classiques et les tangons sont restés à terre, au point que pour cette neuvième édition, les spinnakers ne sont même pas sûrs d’être à bord !

© Pierre BourasIl faut souligner que les vitesses atteintes désormais sont telles que les gennakers sur enrouleur sont nettement plus aisés à gérer par un marin seul : même si l’empannage reste épuisant (il faut tout de même border l’écoute à la sortie de la manœuvre), le risque d’enrouler un spinnaker autour de l’étai ou de le déchirer est supprimé. Or avec huit voiles seulement embarquées pour ce Vendée Globe, les choix de la voilure est capital, non seulement pour boucler la boucle, mais surtout pour le choix des trajectoires.

Plus un bateau va vite, plus il peut abattre aux allures de près

En fait, les allures de travers et de large (entre 70° et 110° du vent réel) ne changent pas la donne puisque le cap est tout droit, même si la vitesse atteinte aujourd’hui est phénoménale : près de 30 nœuds avec à peine 20 nœuds de vent réel sur mer maniable. Mais en alignant des journées à près de 600 milles, voire plus (soit 25 nœuds de moyenne), les IMOCA de dernière génération vont pouvoir aller chercher des phénomènes météorologiques favorables plus facilement. S’écarter de la route directe de 10°, voire 20° en sachant que le gain final est positif, repose sur deux paramètres qui ont énormément évolué ces dernières saisons.

D’abord les pilotes automatiques qui s’adaptent aux variations du vent - en force et en direction -, ont gagné en fiabilité au point que les solitaires ne barrent presque plus. D’autre part, les polaires de vitesse - établies d’après des abaques (les touffus tableaux descriptifs des performances à des allures données selon les configurations de voiles) donnant la route à suivre selon la force et la direction du vent, mais aussi selon l’état de la mer - permettent d’optimiser la trajectoire en connaissant même, à quelques heures, voire quelques minutes près, le moment où les conditions de navigation vont changer : prise de ris, changement de voile d’avant…

L’état de la mer dicte la conduite

Enfin, c’est désormais la configuration de la mer qui prédomine, surtout pour les IMOCA dotés de foils « modernes » : pour « voler », donc pour gagner cinq, voire dix nœuds de vitesse, il faut que les vagues restent modérées et la houle de grande période afin que le bateau ne « marsouine » pas, c’est-à-dire qu’il n’alterne pas les phases de sustentation et les amerrissages.

© Yvan Zedda / Défi Azimut Contre le vent, une allure finalement peu fréquente sur un tour du monde sans escale, la problématique est simple : soit il faut aller chercher une bascule du vent, soit il faut enchaîner les virements de bords pour atteindre la cible (louvoyage). Or en débridant (en choquant les écoutes) de quelques degrés, un monocoque IMOCA passe de 12-14 nœuds au près serré (45-50° du vent réel) à 17-18 nœuds au près océanique (60°) ! Et si la rotation de la brise attendue va vers la droite, alors mieux vaut aller plus vite la chercher en tirant sur la barre…

Plus un bateau va vite, plus il peut lofer aux allures portantes

Mais dans les mers du Sud, les allures de près sont quasiment absentes - ou alors c’est dû à l’arrivée d’une dépression tropicale dans l’océan Indien, ou d’une perturbation au large de la Nouvelle-Zélande, ou d’un vaste anticyclone dans l’océan Pacifique. Les conditions de navigation sont plutôt gérées par le passage des dépressions successives, qui se déplacent entre 20 et 35 nœuds, avec d’abord un flux de nord-ouest, puis une bascule à l’ouest et enfin un ciel de traîne de sud-ouest. Il en résulte aussi une mer très dure, très chaotique en raison des violentes rotations de la brise et parfois aussi à cause des remontées de fond, comme au large des Kerguelen.

© Jean-Louis Carli / Alea / VG2020 C’est donc au largue (120-130° du vent réel) que débute l’accélération dans la veine de nord-ouest, ce qui permet d’envoyer le gennaker. Mais quand la brise passe au secteur ouest, il n’est pas possible de naviguer au vent arrière (155°-180° du vent réel) : il faut donc lofer, soit vers le nord-est (bâbord amures), soit vers le sud-est (tribord amures). En s’appuyant sur le foil sous le vent à 130°-140° du vent réel, un monocoque IMOCA de dernière génération va pouvoir allonger la foulée, bien plus qu’en glissant à 150° sous spinnaker (si la brise n’est pas trop forte et la mer rangée !).

Une stratégie différente selon le jeu de voiles

Il y aura donc plus de route à parcourir, mais beaucoup plus rapidement… Et c’est toute la difficulté de ce tour du monde : savoir quand il faut « attaquer » même si la trajectoire ne suit pas du tout la route, connaître le moment de l’empannage, anticiper le positionnement en fonction de la météo à venir. Les phases stratégiques essentielles devraient donc se dérouler lors de la première semaine : sortie du golfe de Gascogne, placement au large des Canaries pour l’empannage en direction de l’équateur ; du cap de Bonne Espérance à la sortie du cap Horn (mers du Sud) ; au large du Brésil (négociation de l’anticyclone de Sainte-Hélène) et peut-être les derniers jours avant l’arrivée, si le vent de nord-est, très froid en janvier, balaye le large de la Vendée.

Ainsi la stratégie, c’est-à-dire le choix de la trajectoire, va être fonction des capacités du bateau et du skipper à performer avec un angle optimum pour une voilure donnée et c’est probablement plus l’état de la mer que la force du vent qui va influer sur ces options : pour « voler », il vaut mieux 15-20 nœuds de brise et deux mètres maximum de creux, que 35 nœuds et cinq à huit mètres de vagues… Il faut donc s’attendre à ce que les divergences de route soient conséquentes, surtout après les Canaries, car non seulement les vitesses de la trentaine de monocoques IMOCA au départ ne seront pas les mêmes, mais aussi parce que les conditions météorologiques seront différentes selon le placement sur le plan d’eau !
 

La Rédac du Vendée Globe / DBo