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Tanguy Le Turquais : liberté, navigabilité, humanité

Fraîchement acquéreur d’un Imoca, Tanguy Le Turquais construit méthodiquement son ambition de figurer au départ du Vendée Globe 2024. S’il est encore en quête de partenaires, le Breton est déterminé à donner corps à son projet, qu’il souhaite respectueux et vertueux.

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Pour une fois, Tanguy et ses sœurs ont pu regarder la télé. Ce n’était pas trop dans les habitudes de la famille Le Turquais que de laisser les trois enfants se laisser bercer par le petit écran alors qu’il y a école. Mais en cet hiver 2000-2001, il y a mieux dans le poste que Jimmy Neutron, Scoobidoo et Kim Possible : il y a Michel Desjoyeaux, Ellen MacArthur et les autres ! « Je devais alors avoir 10 ans, l’âge auquel on a les yeux grands ouverts, pose Tanguy Le Turquais avec douceur. Le Vendée Globe d’Ellen MacArthur (2e) est mon plus fort souvenir, et j’ai vraiment vécu son arrivée avec mes yeux d’enfant. Le rêve a commencé ici ».

Si la navigatrice anglaise a su faire chavirer les cœurs, dont celui du jeune Le Turquais, il faut bien admettre que le papa de Tanguy avait bien préparé le terrain. Éducateur sportif à Brest et professionnel de gymnastique, il a longtemps contenu sa passion de la mer dans le sage rectangle du gymnase, et ses emphases dans celui des terrains de foot, mais c’est bien la mer qui l’attirait plus que tout. Tanguy : « Comme tous les Brestois, mon père a travaillé à l’arsenal, et il a bien dû faire de l’Optimist, mais c’est lorsqu’il a divorcé de ma maman, à 40 ans, qu’il s’est décidé à vivre sa passion. Il a acheté un bateau en acier de 10m et il a choisi de vivre à bord avec ses trois enfants. Il s’est jeté à l’eau ! »

Nous déclinons toute responsabilité pour ce jeu de mots qui appartient à Tanguy, qui raconte les croisières familiales aux îles Scilly, dans les îles britanniques et jusqu’au Portugal. « Mon père est-il un grand navigateur ? Je ne sais pas trop, mais il avait un bon pote, Hervé Le Gall, qui avait fait la Mini Transat 1989 (en prototype, à bord de Locminé Entreprises, ndlr). Ils s’étaient rencontrés sur leur lieu de vie, dans le port de Vannes. Ce n’est pas un hasard si je me suis intéressé à la Mini, contemporaine de mon adolescence ». D’autant qu’en 2003, son père rassasie une part de sa propre faim de course au large en suivant jusqu’au bout la Mini-Transat sur un bateau accompagnateur. Le genre d’aventure qui offre quelques nouvelles histoires à raconter encore et encore d’un bout à l’autre des quais Eric-Tabarly et Bernard-Moitessier.      

Jusqu’alors, Tanguy mangeait, dormait, vivait, rêvait planche à voile, quand bien même Michel Desjoyeaux et Yves Parlier ornaient ses murs sur les posters dépliés. « Forcément, je devais bien rêver de Vendée Globe, mais comme tout enfant rêve d’être pompier ou astronaute : sans trop y croire. Alors la planche était ma raison d’être. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent ; il n’était pas envisageable qu’on m’inscrive en école de voile. Mais je faisais des études de bricolage de moteurs marins, que je pratiquais déjà grâce à mon père, et un jour, je suis allé voir La mouette sinagote (un club de voile de Séné, petit paradis du golfe du Morbihan, ndlr) et leur ai proposé un deal :  ‘Je veux faire de la planche ; je ne peux pas payer, mais je peux réparer vos moteurs’ ». Une poignée de main plus tard, Tanguy faisait de la planche et du dériveur. « Au lycée, j’ai aussi eu accès à un Class8 ; en dehors, je bricolais et je naviguais. Comme les autres Bretons, mais pas par la voie classique ».

Les trois coups vers les trois caps

La « course des bricoleurs » - la Mini Transat – était bien faite pour lui, diplômé de la Marine marchande et de l’Institut Nautique de Bretagne, ses études de mécanique lui ayant ouvert les portes de la course au large. Il fait 4e du classement en 2013 (6e de la Mini-Transat), 3e en 2014 (2e de Les Sables-Les Açores-Les Sables), premier en 2015 avec une troisième place sur la Petite reine des transatlantiques, deux victoires et des podiums sur les autres courses de la saison. L’étape qui suit, c’est la classe Figaro, « pour apprendre à régater, avant de me lancer dans le projet Vendée Globe. C’est la formation ‘plus plus’ de la régate ». Le bilan de ces quatre saisons est honorable, clos par deux places d’honneur conquises avec Corentin Douguet qu’il a accueilli à son bord. Son spirituel et facétieux coskipper est un expert de la « course de sangliers », expression pleine de tendresse animale qui résume ces moments où il faut remiser le cerveau dans un sac étanche et pencher ce qu’il reste de la tête vers l’avant pour tenter de faire mieux que les autres tandis que les éléments vous giflent les flancs. La 2e place sur la Transat en double 2021, la 4e place sur la Sardinha Cup avec Douguet et une 3e place sur la Solo Guy Cotten viennent poser une estampille sur son aventure de figariste : « Bon pour le service ».        

Rideau sur le Figaro. Puis les trois coups vers les trois caps. Voici Tanguy face au défi du Vendée Globe, acteur désormais de son rêve. « Ce fut génial, de faire du Figaro. J’ai adoré et je ne dis pas que je n’y retournerai pas, mais j’ai fêté mes 32 ans, et je n’avais pas envie de me réveiller dans dix ans en réalisant que je suis passé à côté de mon rêve ». Face à ce qui est « peut-être la dernière prise de risque de ma vie », Tanguy s’est lancé. Joyeux de renouer avec sa joie de vivre. Lucide sur le fait d’avoir été « un peu aigri de voir les autres partir sur le Vendée Globe… mais en réalité, je me trouvais des excuses. La réalité est simple : si tu n’essaies pas, tu n’y arriveras pas ». Et conscient de miser gros, avec sans doute autant d’excitation que d’appréhension : « J’ai quitté une situation professionnelle ultra confortable et passionnante : je faisais du bateau et j’étais payé pour cela. Je sais que j’ai laissé ce cocon pour me jeter d’un avion, sans parachute. J’y mets toute ma vie, dans ce projet de Vendée Globe. J’ai fait acheter un bateau par des investisseurs et des banques. Je n’ai pas encore de sponsor… Mais j’ai le bateau ! Il faut réussir à avancer dans une aventure onéreuse : même au ponton, un Imoca coûte des sous. C’est très stressant… Mais tous les matins, je me lève et je construis. C’est passionnant. »           

On ne parlera que peu ce jour de Clarisse. Clarisse Crémer, sa femme, dont la carrière nautique fulgurante est un modèle à bien des égards. Ils ont coché les mêmes cases Mini et Figaro, souvent ensemble – ils s’y sont rencontrés. Clarisse, diplômée HEC, en sait plus que Tanguy sur la stratégie marketing et la manière de proposer un projet aux chefs d’entreprise, alors elle aide son homme ; ils partagent déjà la même forme de spontanéité dans leur manière de dire les choses. Évaluer, penser, assumer.

Du coup, on ose la question détestable : « Comment te définirais-tu ? » Bingo. Dans le langage Le Turquais, le verbe détester s’exprime par un rire clair et cinq mots : « Oh, c’est dur, ça ! ». Mais il se livre : « Si j’en suis là, c’est que je suis un grand rêveur. Quand on était petit, on a parfois mangé grâce aux Restos du Cœur. Là, j’achète un bateau à un million d’euros (l’ancien Groupe-Apicil avec lequel Damien Seguin a terminé 7e du dernier Vendée Globe). Je le fais parce que j’ai des rêves, et parce que ma rencontre avec Clarisse m’a probablement aidé à me structurer. Peut-être ne vais-je pas y arriver, mais je fais tout pour, et il y a des gens qui ont la gentillesse de vouloir m’aider. Je ressens beaucoup de gratitude, je suis heureux que des gens trouvent de l’intérêt à ce que j’ai envie de porter. J’ai besoin d’environnements sains et bienveillants, et je ne sacrifierai pas le bien-être de ceux qui travailleront sur mon projet au prétexte que cela servira mon propre bien-être. J’ai envie de raconter la belle histoire d’un projet humain, aux valeurs fortes et assumées, avec le bon partenaire. Sur l’eau, on ne gagnera pas, mais on se battra et on fera ce qu’il faut pour boucler le Vendée Globe ».      
 


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