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Sur le Vendée Globe, à chacun son héros ou son héroïne

Ils vivent à Brest, Bruxelles, Lyon ou Cambridge. Ils ont 16, 43, 54 ou 62 ans. Ils travaillent dans l’éducation nationale, la cybersécurité, tiennent un food-truck, profitent avec joie de leur retraite ou de leurs années de lycée. Rien ou si peu, a priori, ne rapproche leur quotidien de celui qu’ont vécu les 40 marins qui ont pris cet hiver le départ du Vendée Globe 2024. Et pourtant, durant plus de trois mois, ils ont vibré aux côtés de leurs skippers préférés, s’entichant chacun pour des raisons différentes de ces marins aux parcours si particuliers, qui ont partagé sans fard leurs joies et leurs difficultés.

LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 10 NOVEMBRE 2024 : La foule est photographiée dans le chenal avant le départ du Vendée Globe, le 10 novembre 2024 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Bernard Le Bars / Alea)
LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 10 NOVEMBRE 2024 : La foule est photographiée dans le chenal avant le départ du Vendée Globe, le 10 novembre 2024 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Bernard Le Bars / Alea)

Derrière chaque bateau et chaque marin du Vendée Globe, il y a une communauté. Au premier rang, on y trouve le cercle familial, les amis, les équipes techniques, les sponsors, tous ceux qui gravitent au plus près des skippers. Mais il y a aussi, derrière, d’innombrables inconnus qui ont accroché avec la personnalité, et en sont devenus de fervents supporters. Sept d’entre eux nous ont raconté comment ils ont découvert leur « chouchou », et ont vécu à leurs côtés cette aventure sportive et humaine, où les émotions transparaissent derrière les mots et les images.

« J’ai posé deux jours de congé pour son entrée dans le Pacifique »

Gaëlle, 34 ans, responsable marketing à Lyon, supportrice de Clarisse Crémer

Quand on l’appelle, Gaëlle décroche en chuchotant. « Excusez-moi, je suis en réunion. Mais comme c’est pour Clarisse, je vous rappelle dans 5 minutes. » A partir du 10 novembre 2024, cette responsable marketing dans la région lyonnaise a suivi mille après mille le parcours de Clarisse Crémer, engagée cet hiver sur son deuxième Vendée Globe. Pourquoi elle ? « Je suis tombée sur une de ces vidéos en 2020, juste avant le départ de son premier Vendée Globe. Je l’ai trouvée drôle, attachante, courageuse. Je ne connaissais rien à la voile, mais ce qu’elle disait sur sa volonté de se dépasser, et surtout la manière dont elle le disait, avec cette espèce de niaque mélangée à une forme de frousse, ça m’a vraiment touchée. Et la suite, sa grossesse, les nombreux bâtons dans les roues, tout ça m’a donnée encore plus envie de la soutenir, parce qu’elle représente parfaitement les femmes de notre génération. »

Alors pour ce Vendée Globe 2024, Gaëlle ne l’a pas lâchée d’une semelle, sa navigatrice préférée. Même si « les premiers jours ont été durs, quand elle a perdu sa voile d’avant dans le golfe de Gascogne, j’ai serré les dents avec elle ». Jusqu’à se réveiller la nuit pour vérifier la cartographie.  Le moment le plus dur ? « Quand elle a eu des galères à l’entrée du Pacifique. Vous allez me prendre pour une folle mais j’ai posé deux jours de congé, j’étais trop frustrée pour elle et j’avais pas le cœur à travailler. » Et que retient-elle de ce Vendée Globe, conclu en 11e position par la skipper de L’Occitane en Provence ? « Elle a prouvé que c’était une battante, et surtout qu’elle savait naviguer à très haut niveau. C’est absurde parce qu’on ne se connaît absolument pas, mais ça me rend fière pour elle ! »

LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 01 FEVRIER 2025 : Clarisse Crémer (FRA), skipper de L'Occitane en Provence, est félicitée par le public après avoir pris la 11e place du Vendée Globe, le 01 février 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Lloyd Images / Alea)
LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 01 FEVRIER 2025 : Clarisse Crémer (FRA), skipper de L'Occitane en Provence, est félicitée par le public après avoir pris la 11e place du Vendée Globe, le 01 février 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Lloyd Images / Alea)

« Boris Herrmann, c’est un peu mon Federer à moi »

Jakob, 43 ans, consultant en stratégie à Hambourg, fan de Boris Herrmann

C’est par une interview dans un grand média allemand, quelques jours avant le départ de son deuxième Vendée Globe, que Jakob a découvert le parcours de Boris Herrmann. « J’ai trouvé que c’était un sportif avec une élégance rare, beaucoup d’intelligence, tout en étant très humble et jamais donneur de leçons. Et puis il est allemand, forcément, il y a un côté chauvin dans le fait de le soutenir. »

Suivi assidu sur les réseaux sociaux, groupe sur Telegram avec une petite communauté de supporters allemands, et même déplacement à l’arrivée dans la tempête du skipper de Malizia : Jakob n’a pas lésiné sur les moyens quand il s’est agi cet hiver de soutenir son champion, qu’il voit « un peu comme mon Federer à moi ». « Ce que j’aime dans le parcours de Boris sur ce Vendée Globe, c’est qu’il parait toujours heureux de faire ce qu’il fait et d’être là où il est, malgré les galères qui semblent parfois injustes. Cette sorte de constance même dans la difficulté, je trouve que c’est rare et précieux à notre époque où on se plaint de pas grand-chose ».

« Pour moi, c’est plus intense qu’un match de l’OM »

 Farid, 54 ans, agent immobilier à Marseille, fan de Yoann Richomme

Farid, lui, a découvert la voile sur TikTok. « Je suis tombé sur une vidéo où Yoann Richomme était dans son siège avec des vagues qui cognaient de partout. Le mec était à la fois détendu et concentré comme un chirurgien. J’ai été scotché j’ai regardé toutes les vidéos de son compte jusqu’à 2 heures du matin. » Le père de quatre enfants n’a pas été déçu, et lui qui d’ordinaire vibre plutôt pour le football s’est mis à suivre le Vendée Globe avec la passion d’un ultra.

« J’ai appris à lire les fichiers météo, histoire de comprendre un peu les choix stratégiques de Yoann. Oui, je l’appelle que par son prénom après avoir eu l’impression de faire un tour du monde avec lui. » Le Marseillais a même réussi à convertir son cadet de 15 ans. « Chaque soir, on faisait le point sur les écarts. C’est devenu notre routine. Le jour où il a passé le Cap Horn juste devant Charlie Dalin, on était comme des fous. Pour moi, c’était même plus intense qu’un match de l’OM, c’est dire ! »

LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 15 JANVIER 2025 : PAPREC ARKÉA skipper Yoann Richomme (FRA) public est photographié lors de l'arrivée du Vendée Globe, le 15 janvier 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Olivier Blanchet / Alea)
LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 15 JANVIER 2025 : PAPREC ARKÉA skipper Yoann Richomme (FRA) public est photographié lors de l'arrivée du Vendée Globe, le 15 janvier 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Olivier Blanchet / Alea)

« J’ai pleuré quand elle a démâté »

Patricia, 62 ans, retraitée à Cambridge, fan de Pip Hare

Quand elle parle de « sa Pip », Patricia a les yeux qui brillent. « C’est une battante. Elle a 50 ans, bricole son bateau toute seule, fait des vidéos souvent très simples mais très émouvantes, ne se plaint jamais. Une guerrière. » Ancienne prof de philosophie, Patricia découvre la Britannique lors d’une conférence donnée par la navigatrice à l’issue de son premier Vendée Globe, en 2020. La retraitée en ressort « complètement épatée, parce que ce n’est pas du tout le profil habituel des sportifs qu’on met en valeur d’habitude dans les médias, plutôt jeunes, masculins, plein d’argent et pas franchement très malin. Je l’ai trouvée très impressionnante. »

Depuis, Patricia la suit comme une groupie, ne ratant aucune de ses publications et commentant régulièrement ses réseaux sociaux. Alors forcément, quand l’aventure s’est achevée un peu trop tôt pour la navigatrice de Medallia, victime d’un démâtage à l’approche de l’Australie, Patricia « a pleuré, j’étais tellement sincèrement triste pour elle, c’était un crève-coeur ». « Je voudrais juste lui dire merci de faire ce qu’elle fait et lui demander surtout de continuer à le faire », complète Patricia, espérant la voir au départ en 2028.

« C’est la seule compétition où tu encourages quelqu’un à survivre »

 Léo, 16 ans, lycéen à Bruxelles, fan de Damien Seguin

D’ordinaire, Léo, 16 ans, est surtout branché e-sport. Mais cet hiver, le lycéen bruxellois l’a plutôt vécu au rythme du Vendée Globe. « C’est plus intense que n’importe quel jeu. Le stress est réel. Quand ton skipper est en pleine tempête, tu flippes pour lui, pour sa vie, pas pour des points. » « Son skipper », depuis 2020, c’est Damien Seguin. Pourquoi ? « Parce qu’il me ressemble, ou plutôt je lui ressemble », dit le jeune homme en racontant l’accident qui lui a laissé un bras à jamais amputé. « En plus cette année, j’avais le choix, parce qu’il y avait aussi Jingkun Xu », plaisante le lycéen, qui trouve « génial d’avoir des sportifs avec des handicaps qui sont autant regardés que les autres, parce qu’on va pas se leurrer, personne ne regarde autant les Jeux paralympiques que les Jeux olympiques. Là au moins, c’est tout le monde dans le même bateau ! »

Et le sien donc, ce fut le bateau rouge d’Apicil, même si « ce n’a pas été la meilleure course » de son skipper préféré. « Au final, j’ai été déçu à un moment pour lui, mais je trouve que ça a été encore plus une aventure humaine de le suivre, de le voir en difficulté, comment il le vivait et ce qu’il en tirait. Ca me donnait encore plus envie de lui dire qu’on était nombreux derrière lui, qu’il ne faisait pas ça pour rien. »

« Elle, c’est moi à 20 ans, mais qui aurait osé »

Claire, 52 ans, fonctionnaire à Tours, fan de Violette Dorange

Claire a découvert le nom de Violette Dorange « complètement par hasard », dans un magazine lu dans la salle d’attente de mon médecin. Elle a tout de suite été frappée par « sa détermination et sa maturité. » Ancienne férue de natation synchronisée, Claire a abandonné la compétition à 16 ans, suite à une blessure qui l’a éloignée des bassins. Mais « l’esprit de challenge, je l’ai toujours gardé et je l’ai vraiment senti chez Violette », dit la mère de famille. « J’ai deux enfants qui ont à peu près son âge, alors je crois que je me suis attachée à elle à la fois parce qu’elle me faisait penser à ma fille, et à la jeune femme que j’ai été. »

Alors tous les matins, pendant les 90 jours du Vendée Globe de la navigatrice de Devenir, Claire a ouvert le classement officiel avant même de consulter ses mails. Hors de question de rater un seul message du bord, et encore moins de manquer l’arrivée de la benjamine de l’épreuve. « Elle n’a rien gagné, officiellement. Mais elle a tout accompli. »

LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 09 FEVRIER 2025 : Violette Dorange (FRA), skipper de DeVenir, est félicitée par le public après avoir pris la 25ème place du Vendée Globe, le 09 février 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Olivier Blanchet / Alea)
LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 09 FEVRIER 2025 : Violette Dorange (FRA), skipper de DeVenir, est félicitée par le public après avoir pris la 25ème place du Vendée Globe, le 09 février 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Olivier Blanchet / Alea)

« J’aime de voir des gens aller au bout d’eux-mêmes »

 Julien, 38 ans, cadre dans l’informatique, fan de Charlie Dalin

Julien, lui, a découvert la course au large en 2020, pendant le confinement. « Je ne suis pas sportif. Mais les histoires de gens seuls face aux éléments me fascinent. Je suis d’un naturel anxieux, j’ai besoin de modèles de calme et de détermination. Charlie Dalin incarne ça pour moi. »

Depuis, Julien s’est pris de passion pour la course au large et d’autres skippers, mais Charlie Dalin reste tout de même son « choix de cœur ». « Le gars est seul, il a un objectif simple : gagner. Il est dans une tension physique et mentale permanente, mais il reste lucide. J’aime voir des gens aller au bout d’eux-mêmes, c’est presque philosophique. Franchement, il a été impérial, et j’étais heureux pour lui comme si c’était un ami. A force de les suivre, on aurait presque l’impression de les connaître. »

LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 14 JANVIER 2025 : Charlie Dalin (FRA), skipper de MACIF Santé Prévoyance, est photographié après avoir remporté le Vendée Globe, le 14 janvier 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Jean-Louis Carli / Alea)
LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 14 JANVIER 2025 : Charlie Dalin (FRA), skipper de MACIF Santé Prévoyance, est photographié après avoir remporté le Vendée Globe, le 14 janvier 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Jean-Louis Carli / Alea)

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