Armel Tripon : « le salut vient de l’Ouest »
L'ANALYSE DU DIMANCHE. Skipper de la dernière édition, Armel Tripon porte un œil avisé sur ce début de course. Il prend le temps de décrypter la situation en saluant la décision des skippers qui ont choisi l’Ouest pour contourner la zone de molle qui accapare la flotte en cette fin de semaine. Décryptage.
Vendée Globe :
La tête de flotte a longtemps buté contre cette zone sans vent… Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Dans ce type de situation, quand il y a une dépression et un énorme front derrière, il y a généralement très peu de vent en dessous. Lorsqu’on traverse ce genre de zone, on essaie de fuir et de ne pas rester bloqué. Comme cette zone n’est pas mobile et reste assez stagnante, il faut tout faire pour l’éviter et tenter d’aller chercher du vent, ce qu’ont tenté les skippers qui progressent à l’Ouest. La situation s’est empirée au fur et à mesure des jours. Il faut tout faire pour ne pas être englué. C’est une certitude, le salut vient de l’Ouest.
Vendée Globe :
La situation démontre aussi que lorsque le vent est faible, c’est très complexe pour les skippers…
Quand il y a un peu de vent, c’est très agréable. Le bateau avance tout seul, ça ne tape pas, on peut se reposer et recharger les batteries. Mais quand il n’y a pas de vent du tout, que les voiles « flapent », c’est très dur nerveusement. Dans ce genre de situation, on peut réussir à accrocher un petit souffle de vent pour creuser un petit décalage de 100 mètres, 200 mètres, 500 mètres, 1 km. C’est ça qui va permettre ensuite d’aller chercher un nouveau système et qui peut creuser des écarts. En somme, le « petit temps » est très agréable mais la « pétole » est très usante nerveusement.
Vendée Globe :
Comment font les skippers pour tenir longtemps dans de telles situations ?
Je crois qu’il faut d’abord être très calme, ne pas s’énerver. Il faut aussi se dire que tout le monde subit la même chose. Parfois, ça peut être très aléatoire, un bateau peut partir, un autre peut rester « collé »… Ce sont des choses qu’on ne maîtrise pas. Il faut apprendre à se détacher, à prendre du recul. Tout le monde est englué, il convient seulement de faire au mieux pour faire avancer son bateau. Et tout marin sait faire ça, sait revenir au b.a.-ba.
Vendée Globe :
Si l’option Ouest s’avère payante, quel regard portes-tu sur ceux qui progressent le plus à l’Est ?
C’est une certitude, ils vont prendre un peu de retard. Mais rien n’est rédhibitoire : ils avaient du retard avant cet épisode de molle, ils vont en avoir à nouveau. Mais on ne sait pas du tout ce qui va se passer ensuite, notamment avec le Pot-au-Noir à traverser.
Vendée Globe :
Est-ce que la gestion de la course est différente parce que c’est un tour du monde et parce que c’est le Vendée Globe ?
C’est certain qu’ils prennent tous en compte que c’est une course qui dure longtemps. Ça compte dans ta façon de mener ton bateau. Mais dans le petit temps ou la pétole, l’engagement est à 100%. Dans les autres conditions, tu réfléchis plus où mettre le curseur. Après, ce qui est important pour tous les skippers, c’est de rentrer dans les mers du Sud avec un bateau en bon état.
Vendée Globe :
Dans l’Atlantique Sud, que les marins atteindront la semaine prochaine, il y a toujours un scénario idéal, dont tu avais bénéficié il y a quatre ans…
Effectivement, quand on rentre dans l’hémisphère Sud, on commence le contournement de l’anticyclone de Sainte-Hélène qui est plus ou moins étendu et plus ou moins positionné à l'Ouest. L’idée, c’est de chercher les premiers fronts froids qui se forment au large du Brésil et se positionner devant un front. Avec la vitesse des bateaux, entre 20 et 25 nœuds, on arrive à rester devant le front qui se déplace à la même vitesse. Ça nous permet d’avoir un super angle, de ne pas avoir de mer (de houle ndrl) et ça permet de cavaler. C’est là qu’on bat les records de vitesse d’autant qu’on peut tenir jusqu’aux premières dépressions avant d’aller dans l’Indien.
Vendée Globe :
C’est un scénario à la fois très efficace et très agréable…
Oui totalement ! Il y a quatre ans, j’avais eu un peu le « cas-école ». J’avais réussi à accrocher un front, à rester devant et c’était dingue. On peut vraiment accélérer et là les bateaux sont très plaisants.
Vendée Globe :
Plus globalement, tu perçois un changement dans cette édition en matière de densité de niveau et de fiabilité des bateaux ?
Oui c’est le cas. Les bateaux ont été plus que fiabilisés. Les équipes sont plus conséquentes et le niveau de préparation a monté d’un cran. La flotte a gagné en connaissance, en exigence aussi et ça permet aux marins de pousser plus les bateaux dans leurs retranchements. Et la conséquence directe, c’est que les bateaux vont plus vite.
Vendée Globe :
De ton côté, tu prépares un projet pour revenir au Vendée Globe en 2028 avec un bateau en construction…
Le chantier avance en ce moment. Nous avons posé le pont donc « refermé la boîte ». Le bateau commence à ressembler à un bateau, ce qui est assez agréable après dix mois de construction. Là, on s’attache à greffer les cloisons au pont et à installer plein d’éléments sur le bateau. On est encore dans une phase de composite. Dans un mois, on débutera l’installation de l’électricité, l’électronique, l’accastillage et la peinture.
Vendée Globe :
En parallèle, tu as passé du temps ici avant le départ…
Avec l’association de soignants Les petits doudous, nous étions présents pendant trois semaines. On avait envie de présenter notre projet, d’expliquer au plus grand monde notre vision de la course qui correspond à celle du Vendée Globe pour 2028. À l’instar de Lazare ou Coup de pouce, ce sera un bateau qui met en avant une association et des entreprises viennent nous soutenir en mécénat pour le budget de fonctionnement. L’idée, c’est de fédérer des entreprises, quelles que soient leurs tailles, pour qu’elles puissent vivre le Vendée Globe.
Vendée Globe :
Le fait d’être engagé dans ce projet permet de vivre ce Vendée Globe 2024 à distance sans frustration ?
Il y a zéro frustration ! Bien entendu, voir le départ exceptionnel et la course, ça donne envie tout le temps. Mais il y a un bateau qui se construit, on va bientôt naviguer et prendre part au jeu. C’est une position de spectateur presque privilégiée.