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L’humain, la clé de la performance ?

Repousser les limites du corps et de l’esprit : c’est l’essence même du Vendée Globe. Mais jusqu’à récemment, les effets physiologiques et mentaux d’un tour du monde en solitaire sur un monocoque de 60 pieds restaient étonnamment mal connus. Une lacune désormais comblée par un ambitieux projet de recherche scientifique, l’IMOCA Human Performance Project, qui lève enfin le voile sur les réalités physiques et cognitives d’une aventure hors norme. À travers les témoignages de la bio-ingénieure Bérénice Charrez et de la médecin de l’édition 2024 Laure Jacolot, une certitude émerge : comprendre l’humain pour mieux le préparer est devenu un enjeu central de performance, de sécurité… et de survie.

Test physique
© Pierre-Emilio Medina

L'HUMAIN AU CENTRE DE L'ATTENTION

Le Vendée Globe, riche de dix éditions, ouvre désormais une nouvelle page scientifique sur la santé et la performance des skippers. Depuis les débuts, la machine technologique des 60 pieds était scrutée dans ses moindres détails, mais la machine humaine, elle, conservait encore ses mystères. « Nous manquons de données en course au large concernant les conditions dans lesquelles évoluent les marins », constate Laure Jacolot. L’édition 2024-2025 a marqué un tournant : pour la première fois à cette échelle, une étude ambitieuse portée par Bérénice Charrez et soutenue par l’IMOCA explore les impacts physiques et mentaux de la course. Les premiers résultats sont à la fois attendus… et saisissants. Atrophie musculaire marquée, perte de souplesse, troubles de l’équilibre, tensions ostéo-articulaires, stress chronique, déséquilibres hormonaux : le Vendée Globe transforme les corps. Des constats qui rappellent les effets d’un séjour prolongé en apesanteur. « Certains skippers perdent jusqu’à un centimètre et demi en taille, probablement à cause d’une compression vertébrale due à la posture confinée et à la perte de mobilité », explique la Suissesse, titulaire d’un doctorat en ingénierie médicale de l’Université de Californie à Berkeley. « C’est réversible, mais révélateur. » Même les skippers les mieux préparés reviennent au ponton avec des séquelles parfois invisibles, mais bien réelles. 


Ce qui nous a interpellés, c’est l’intensité des tensions musculaires et des blocages articulaires chez les marins à l’arrivée. Il y a eu une nette augmentation des consultations ostéopathiques par rapport aux éditions précédentes.

Laure Jacolot
Médecin du sport, médecin du Vendée Globe 2024

Le corps, contraint, surexposé au bruit, aux chocs, aux vibrations et au manque de sommeil, entre dans un état d’hypervigilance extrême, avec des conséquences encore mal mesurées sur le long terme.

Des outils pour objectiver, comprendre… et prévenir

L’étude a permis de collecter une quantité inédite de données biométriques et environnementales. Avant le départ, chaque skipper volontaire a été soumis à une batterie complète de tests : poids, taille, périmètres musculaires, tests de VO2 Max, force de préhension, hauteur de saut… Pendant la course, montres connectées et capteurs embarqués ont suivi en continu rythme cardiaque, dépense énergétique, qualité du sommeil, humidité, température ou encore niveau sonore dans le cockpit. Résultat : certains marins brûlaient jusqu’à 5000 calories par jour. Une donnée inattendue, au vu du relatif immobilisme à bord. « En réalité, ils sont plutôt sédentaires mais leur cerveau, lui, travaille en permanence. Et ça consomme énormément d’énergie », détaille Bérénice Charrez. La faible qualité du sommeil accentue encore ce stress physiologique :


Les meilleurs dormeurs sont aussi ceux qui se classent le plus haut dans le classement. Ils parviennent à atteindre, pendant leurs siestes, des rythmes cardiaques proches de ceux qu’ils ont au repos à terre, ce qui montre une meilleure récupération.

Bérénice Charrez
Bio-ingénieure en charge de l'étude l’IMOCA Human Performance Project

LORIENT, FRANCE - 15 OCTOBRE 2023 : Jérémie Beyou (FRA), skipper de Charal, à l'entraînement, le 15 octobre 2023 au large de Lorient, France. (Photo par Marin Le Roux / Polaryse)
LORIENT, FRANCE - 15 OCTOBRE 2023 : Jérémie Beyou (FRA), skipper de Charal, à l'entraînement, le 15 octobre 2023 au large de Lorient, France. (Photo par Marin Le Roux / Polaryse)

Ces données ouvrent des perspectives concrètes : revoir l’ergonomie des cockpits, intégrer des zones de récupération sécurisées, adapter les rythmes de veille et de repos, personnaliser la nutrition selon les dépenses réelles, ou encore intégrer des routines physiques simples mais régulières. « Il faut que les marins intègrent des exercices de contraction isométrique, comme la chaise contre une paroi, pour entretenir leur masse musculaire même sans espace ni matériel », suggère la chercheuse.

Yoga onboard an IMOCA / Sam Goodchild on the Vendée Globe

Une nouvelle ère de performance centrée sur l’humain

L’un des apports majeurs du projet tient à ce qu’il révèle : une nouvelle frontière de la performance n’est plus à chercher dans les matériaux ou la vitesse pure, mais bien dans l’optimisation de l’humain. « Jusqu’ici, on a sous-estimé l’impact physiologique de la course. Les bateaux évoluent, vont plus vite, tapent plus fort, vibrent davantage. Or, ces nouvelles contraintes doivent être prises en compte dans la préparation », souligne Laure Jacolot. Le travail ne fait que commencer. L’analyse des échantillons de salive et d’urine, les effets des variations hormonales, l’impact neurologique des vibrations ou encore les désordres digestifs restent à explorer. L’intégration de systèmes de monitoring en temps réel à bord est l’une des pistes prometteuses : un “hub” de données humaines en parallèle des systèmes de navigation pour que le skipper ajuste sa stratégies de récupération, d’alimentation ou sa vigilance. Autre voie d’exploration : la transposition des méthodes d’entraînement des astronautes. « Ces derniers font deux heures de sport par jour dans l’ISS. Ils ont aussi des protocoles d’équilibre vestibulaire. Il y a des choses à aller chercher de ce côté-là, notamment pour limiter l’atrophie musculaire et améliorer la proprioception », avance Bérénice Charrez. Car l’enjeu est aussi de long terme. Il ne s’agit pas seulement de ramener les marins à bon port, mais de leur permettre de continuer à naviguer, année après année, sans payer le prix fort. Préparer le corps et l’esprit à un tel défi n’est plus un luxe, mais une nécessité. « La vraie question aujourd’hui, ce n’est plus de savoir si cette course laisse des traces. C’est : comment peut-on les anticiper, les mesurer, les atténuer ? », résume la scientifique - navigatrice. Une approche qui s’inscrit dans l’ADN même du Vendée Globe : comprendre pour mieux repousser les limites.


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