Il vient d’une nation où la course en équipage est solidement ancrée, mais c’est bien le tour du monde en solo qui le fait rêver. Préinscrit au prochain Vendée Globe, le Néo-Zélandais Conrad Colman, 32 ans, part en quête de partenaires pour s’élancer des Sables d’Olonne à bord d’un bateau mis à l’eau en 2005 (l’ex Maisonneuve de Jean-Baptiste Dejeanty). Globe-trotter déterminé et fonceur, le jeune marin basé à Lorient a déjà bouclé deux tours du monde en double (la Global Ocean Race en Class40 et la Barcelona World Race en IMOCA). Il pourrait devenir le premier représentant de son pays à s’attaquer à l’Everest des mers. Interview.
Conrad, tu es désormais préinscrit au Vendée Globe. Où en sont tes recherches de partenaires ?
Conrad Colman : « Je dispose d’un budget de fonctionnement permettant d’effectuer un chantier sur le bateau puis de participer à la Transat New York/Vendée. Je recherche activement des partenaires qui m’assureront d’aller au bout de mon projet et de participer au Vendée Globe. Je suis en contact avec des entreprises françaises, mais aussi néo-zélandaises et américaines. Je dors peu avec le décalage horaire ! »
A bord de quel IMOCA pourrait-on te voir au départ le 6 novembre aux Sables d’Olonne ?
« Il s’agit de Galileo, un bateau construit au Brésil et mis à l’eau en 2005, avec lequel Jean-Baptiste Dejeanty a participé au Vendée Globe 2008-2009 sous les couleurs de Maisonneuve (abandon avant les mers du Sud, NDR). Ce monocoque n’a plus disputé de courses depuis. Il était utilisé par l’entreprise Sensation Océan pour faire du charter au départ de Lorient. C’est un bon bateau d’ancienne génération, il est fiable. Il a été bien entretenu mais pas dans le même souci d’exigence qu’un IMOCA qui participe à des courses. D’où le chantier de vérification et de remise en état que j’entreprends en ce moment. Je me concentre avant tout sur la fiabilité du bateau, il n’y aura donc pas de grosses modifications à bord. »
« J’ai l’habitude de monter des projets sur le tard »
Le départ du Vendée Globe sera donné dans moins de dix mois. Le timing ne te semble pas serré ?
« Si, il l’est. Je suis bien conscient qu’il ne s’agit pas de la meilleure manière de procéder. Mais je n’ai pas peur, je me sens capable de mener une campagne qui me permettra de partir avec une plateforme sécurisante. J’ai l’habitude de monter des projets sur le tard, j’ai toujours fonctionné de la sorte. J’ai préparé la Mini Transat 2009 en neuf mois, et j’ai bouclé la course. Pour la Route du Rhum 2010 en Class40, ma première navigation s’est déroulée en juillet, alors même que le départ était donné en octobre. Là encore, j’ai terminé. Pour le tour du monde en double avec escales, la Global Ocean Race, un sponsor m’a lâché et j’en ai retrouvé un dix jours avant le départ ! Cela ne m’a pas empêché de remporter quatre des cinq étapes et de m’adjuger la victoire au classement général. »
© Spirit of Hungary/ BWROutre cette victoire en Class40, tu as une autre expérience en double autour de la planète, en 60 pieds IMOCA…
« J’ai en effet disputé la Barcelona World Race avec Nandor Fa à bord de son Spirit of Hungary. Difficile, cette course a été un bon baptême du feu en IMOCA. Le bateau n’étant pas fiabilisé au départ, nous avons sorti la caisse à outils très tôt et elle est toujours restée ouverte. Malgré de nombreux soucis techniques, nous sommes parvenus à terminer l’épreuve en 110 jours. J’ai ainsi franchi une nouvelle étape en vue de mon prochain objectif, le Vendée Globe. Même s’il s’agira de mon premier tour du monde en solo, je ne plongerai pas dans l’inconnu. Je connais les mers du Sud, je sais où mettre le curseur entre performance et sécurité. »
Que sera ton programme sportif dans les mois qui viennent ?
« Le bateau sera remis à l’eau début avril puis je participerai à la New York-Vendée (départ le 29 mai, NDR), une épreuve importante pour le succès de mon projet. Elle offrira, je l’espère, l’occasion de toucher des entreprises américaines et d’activer des partenariats. C’est important d’exporter l’aventure vers les Etats-Unis, de montrer nos bateaux pour que les sponsors potentiels comprennent mieux ce que l’on fait. »
« Le Vendée Globe, un fabuleux mélange d’aventure et de sport pur »
D’où vient ta volonté de participer au Vendée Globe ?
« J’aime cette épreuve car c’est un fabuleux mélange d’aventure et de sport pur. J’aime aussi l’aspect gestion de projet et entreprenariat. En 2006-2007, j’étais encore « planté » dans les rochers aux Etats-Unis, je faisais du VTT à haut niveau et je ne naviguais plus. Il était alors inimaginable pour moi de devenir un jour un skipper du Vendée Globe. Et pourtant je pensais déjà à cette course. C’est dans l’espoir d’y participer un jour que je me suis installé en Angleterre puis en France où je suis notamment devenu préparateur du Britannique Steve White qui a participé à l’édition 2008-2009 (8e à bord de Toe in the Water, NDR). J’ai toujours aimé les défis sportifs difficiles. J’ai par exemple pris part à des courses d’endurance de 24 heures en VTT. Il est donc logique que je sois attiré par le Vendée Globe, l’événement sportif le plus difficile qu’on puisse imaginer. »
Aucun Néo-Zélandais n’a encore pris le départ du Vendée Globe. Le pays a plutôt une culture de la navigation en équipage…
« Il est vrai que les Néo-Zélandais ne connaissent pas vraiment la navigation en solitaire, ils n’y pensent même pas. Quand on part en solo, on doit démontrer que l’on n’est pas fou, que l’on ne fait pas ça par défaut (rires). Attirer les entreprises et les fans de voile dans mon aventure constitue donc un sacré défi. Devenir le premier Néo-Zélandais à participer au Vendée Globe permettrait pourtant d’écrire une belle histoire…»
© Conrad Colman (DR)Penses-tu que ta participation pourrait susciter un engouement de la part des médias et du public ?
« Oui, je crois. Pour le moment, le Vendée Globe est un peu connu dans le milieu des navigateurs mais pas auprès du grand public. Si un Néo-Zélandais prend le départ, cela peut changer. Lors de mes deux précédents tours du monde, j’étais bien médiatisé. A travers ma participation, je souhaite élargir le cercle des fans du Vendée Globe. Le « i » d’IMOCA veut dire « International ». Mais cette internationalisation reste à développer. Les histoires sont fabuleuses et il serait dommage de ne pas en faire profiter le plus grand nombre. »
Dans l’idéal, tu souhaites terminer le prochain Vendée Globe pour revenir en 2020 avec un projet plus compétitif ?
« Exactement. La première participation se fera en mode aventurier. Les Néo-Zélandais réussissent tellement en équipage qu’ils pensent qu’on peut tout gagner en voile. Il faudra leur expliquer que ce ne sera pas possible cette fois-ci (rires) ! Mais je reste un compétiteur dans l’âme et les IMOCA de dernière génération sont fabuleux, ils m’attirent. Je rêve déjà de m’engager en 2020 avec une meilleur préparation et un bateau plus récent. Le parcours de Tanguy de Lamotte est une inspiration. Avec un vieux 60 pieds et un petit budget, il a su toucher un large public en 2012-2013 puis trouver de nouveaux partenaires pour repartir cette année avec une machine plus compétitive. J’aimerais suivre le même parcours. En ce moment, pour me préparer, mon atelier est en fait un container de 40 pieds situé dans l’ombre du hangar de Banque Populaire à Lorient. Cette image illustre bien la diversité de profils que l’on retrouve sur le Vendée Globe. Chez Banque Pop’, ils sont quinze alors que je suis seul avec un ami. Mais un jour, moi aussi j’aurai un gros projet. »
Propos recueillis par Olivier Bourbon / Agence Mer & Média