23 Novembre 2016 - 10h07 • 24839 vues

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Vincent Riou fait route vers Cape Town. Il était en direct dans le Vendée Live à midi. Seul ancien vainqueur du Vendée Globe de la flotte, le skipper PRB est un marin respecté par ses concurrents. Même s'ils sont plongés dans leur course, tous ont une pensée pour ce champion. Jean le Cam sait que ce genre de situation peut arriver à tout moment, comme il nous l'a confié ce matin. Alex Thomson flirte avec la zone des glaces et continue de mener la course. Pieter Heerema nous a livré ses impressions du moment. Thomas Ruyant pense avoir mangé son pain noir, il était dans le Vendée Live pour s'exprimer sur son bon début de course. Sébastien Déstremau s'apprête à descendre le long du Brésil. Le skipper TechnoFirst-faceOcean compte bien terminer son tour du monde tout en ayant une pensée écologique.

Vincent Riou, PRB
"Ce qui s’est passé, c’est un choc à 25 nœuds qui a lancé la quille en vibration, elle est partie en résonnance. Ça a provoqué des gros chocs sur le bateau. Sur le coup je me suis inquiété, mais pas trop. Au fur et à mesure que les heures passaient, j’entendais des bruits sourds au niveau du système de rotation de la quille sous la coque. Après réflexion, ces bruits ne faisant que s’amplifier, en a conclu avec mon équipe et les gens qui ont travaillé sur ce bateau en ingénierie que le palier de quille avant devait être détruit. C’est compliqué car c’est un endroit inaccessible. Je ne le verrai que le jour où je démonterai la quille. Il a fallu trouver des solutions et des indicateurs. Le principal indicateur ça a été le bruit. S’il augmentait ça voulait dire que l’axe de quille portait sur le support du palier et pas sur la partie plastique qui gère la friction. Maintenant que j’ai ralenti ça s’entend moins, c’est moins net. On entend toujours des à-coups mais ce n’est plus le bruit continu comme cela pouvait l’être quand j’étais en course. Le truc c’est que ce n’est pas un danger immédiat pour le bateau. Il faudrait plusieurs semaines pour endommager l’axe. Ce n’est pas une solution viable pour aller faire le tour du monde et encore moins viable pour s’engager dans les Océans australes dès la fin de la semaine.
A court terme, ce sont juste deux morceaux de métal qui frictionnent et s’usent. Surement assez vite car c’est du titane. Ça ne met pas l’intégrité du bateau directement en cause. C’est pour ça que j’ai attendu 36h entre l’incident et le moment où j’ai décidé d’arrêter. Je savais que je n’avais pas le risque de perdre ma quille. J’ai préféré naviguer à vive allure pour être sûr qu’l s’agissait d’un incident de ce type-là et accélérer le processus. Le problème aujourd’hui, c’est que c’est difficile d’envoyer des ondes dans l’eau aux vitesses pour détecter pour détecter des objets. Pour un sonar qui aurait une distance suffisante pour dévier la trajectoire des bateaux, Ce sont des engins de plusieurs centaines de kilos et très énergivores. En termes de budget, on n’a pas réussi à trouver quelque chose de viable. C’est un objet qui n’existe pas. Ça reste un des principaux problèmes pour nous, navigateurs. Je pense qu’on est au moins une dizaine de skippers à avoir touché quelque chose depuis le début du Vendée Globe. Certains ont eu des petits dommages, comme Sébastien Josse qui remonté son safran cette nuit, Alex Thomson a cassé un foil, moi je suis contraint à l’abandon. Il y a un peu moins d’une semaine, j’étais en train de manœuvrer en plage avant et je suis passé entre une baleine et un baleineau. Il n’y avait que quelques mètres entre les deux. J’avais déjà frisé la catastrophe une fois. J’ai une grosse déception personnelle sur cet abandon mais il faut imaginer tous les gens qu’on amène avec nous sur cette aventure. Il faut imaginer la déception de toute cette communauté qui nous soutient. C’est un fardeau assez lourd à porter, surtout sur une course comme celle-là, où on est seul dans l’action. C’est ce qui me mine le plus… Je vais rallier le port de Cape Town en Afrique du Sud. On imagine que l’ensemble n’est pas trop endommagé. On verra en le démontant. On pense déquiller le bateau rapidement. L’équipe arrive avec des pièces pour réparer. Je ramènerai ensuite mon bateau en Europe. J’espère au plus vite. Des histoires qui se terminent mal comme ça, plus vite elles sont closes et mieux tout le monde se porte." 

Jean le Cam, Finistère Mer Vent
"Je pense que j’appellerai Vincent directement. Dans ce métier on connait ça tout le temps. C’est sûr que ce sont des moments à la con. Tu ne peux rien faire. T’es comme un idiot. On sait tous que c’est aléatoire. A un moment ou un autre tu fais face à un objet qui est là. La vie continue et il y aura chose derrière. C’est là où il faut rebondir. Des fois t’as pas les mots, tu ne sais pas trop quoi dire. On le sait tous. Avec Vincent on se connait bien. C’est grâce à lui et à Bernard (Stamm) si je suis champion du monde IMOCA en titre. Il fait partie des gens que j’apprécie vraiment. Il faut savoir quand même, que dans mes sponsors, j’ai PRB sur mon bateau. C’est une aventure qui se termine. Une autre recommence. Ça arrive à Vincent, ça arrivera à d’autres. Il ne peut rien faire. On peut avoir toutes les alarmes qu’on veut, un truc à moitié immergé dans l’eau, on ne peut rien y faire. On passe 80% du temps à l’intérieur.
Là il était temps que ça reparte. Hier c’était l’apocalypse. J’ai fait 2 nœuds pendant 4h. T’avances que dalle. Là on en est sortis donc tout va bien. Je ne suis pas le pire. Je suis là où je devrais être. Le bateau a toutes ses dents, pas comme le capitaine. Tout est nickel. On fait entre 12 et 14 nœuds sous spi. Ça marche bien. On est tranquilles. J’ai bien dormi cette nuit. J’essaye de me reposer un max vu que ce sont des conditions à peu près maniables. J’ai dû dormir 6h cette nuit. Ça, ça fait du bien. Le début de course fait un peu de mal. Il faut prendre son rythme. On va attaquer la dépression du Sud. Dans la journée je vais descendre le J1. Il m’avait bien servi jusqu’à présent. Il faut le plier propre, organiser l’intérieur. Je vais étudier mes fichiers météo. Quand je me réveille tard comme ça, je n’ai pas à me faire chier à faire deux fois la manip’. J’ai les deux cartes d’un coup. Il y en a un à 5h et l’autre à 7h. Donc si je les prends après 8h j’ai les deux en même temps. Je check le bateau, j’ai déjà été devant, derrière, pour voir la coque."

Alex Thomson, Hugo Boss
"Le vent faiblit peu à peu. Il serait bien d’avoir un peu de répit. Le vent tourne un peu à gauche derrière le bateau, ce qui fait que je serai obligé d’empanner à un moment. Je pense que le vent sera très faible pendant un moment. Ça va être intéressant de voir comment cela se passe. Banque Populaire et Gitana sont toujours avec moi. Il sera intéressant de voir quand eux ils retrouvent du vent à quel point je suis désavantagé sans mon foil. En ce moment, j’ai un vent favorable  et une mer forte et le désavantage de ne pas avoir un foil est relativement peu important. Je pourrai utiliser mon autre foil. Je prie que la suite de la course sera effectuée tribord amures. 
Je compatis avec Vincent (Riou). Il s’agit d’un des meilleurs sur un des meilleurs bateaux. Il était bien préparé et c’est affreux ce qui lui arrive. C’est très triste. Je suis désolé pour lui. Les choses auraient pu être pire pour moi aussi. La dernière fois, il a heurté une bouée au milieu de l’océan..."

 

 

 

 

 

Pieter Heerema, No Way Back 
"C’est triste pour Vincent (Riou). après toute sa préparation et quatre années de travail. Il voulait tellement boucler ce Vendée et visait même la victoire, même si moi, j’avais mes doutes là-dessus. Il est désolant de voir qu’il quitte la course un peu comme il y a 4 ans. Cela fait peur de voir autant de trucs à la dérive sur les océans. Si vous êtes à bord d’un bateau à 8 ou 9 nœuds, on entend un bruit et c’est la fin de l’histoire, mais sur des bateaux comme les nôtres, les vitesses et les forces sont si énormes et nos bateaux si fragiles que cela peut engendrer immédiatement des conséquences lourdes. C’est flippant ! 
Le vent d’ENE varie de 8 à 14 nœuds. Je suis content d’avoir un vent faible car j’ai trois tâches à effectuer par temps calme. Il faut que travaille sur le safran. Cela peut être risqué car il faut pencher sur le tableau arrière et il ne faut pas que je perde des pièces. Ensuite, j’ai un foil qui est coincé. Il ne faut pas que je le perde. J’ai le dessalinisateur qui ne marche pas et il faut que je jongle avec des seaux d’eau à bord."

 

Thomas Ruyant, Le Souffle du Nord pour le Projet Imagine
© Pierre BOURAS - Le Souffle du Nord"Je pense qu’on a mangé notre pain noir pendant 24/36h. Hier et la nuit d’avant, ça a été compliqué avec la dorsale qu’il a fallu traverser pour retrouver des vents plus forts. Là on se rapproche d’une petite dépression qui va nous faire accélérer. On n’est pas très rapides mais plus ça va, plus on va accélérer. Les 36 heures à l’arrêt ont été très longues. Surtout quand on voit les leaders débouler à 20 nœuds. C’est frustrant mais c’est comme ça. Je suis avec un petit groupe de trois bateaux. J’arrive à ne pas me faire distancer par Jean, j’arrive même à remonter un peu. Ce qui est sûr c’est que les premiers sont très loin. Alex Thomson est 1800 milles devant. Même si ils ralentissent, ils auront toujours une longueur d’avance. Ça va être compliqué s’ils continuent comme ça. On peut recoller un peu car ils ne seront pas toujours à 20 nœuds et nous pas toujours à moins de 10 nœuds. Ça peut faire élastique par moment mais ça va être compliqué de revenir sur la tête de flotte. Je suis content d’être avec les marins que j’ai autour de moi et de ma place dans la flotte. Je suis content de mon début de course. C‘est un peu compliqué de voir cette course qui s’étire par devant sans rien pouvoir faire. La météo a été très favorable pour les leaders. On creuse nous aussi par rapport au reste de la flotte derrière. C’est le jeu. Si il y a des opportunités de resserrer l’écart, j’essaierai. Je suis à fond, au taquet. J’ai profité de ces 24h à l’arrêt pour faire un gros check du bateau. Le seul truc qui ne marche pas c’est l’antenne streming pour le live vidéo. Le bateau est très sec. C’est super. La vie à bord s’organise. Je me sens bien sur mon bateau. Je prends du plaisir à être sur l’eau. C’est sûr que devant ce sont des marins d’expérience. C’est sympa de pourvoir jouer avec eux. Ce sont mes références pour l’instant puisqu’ils ont le même système météo que moi. Ce sont des bons lièvres. C’est chouette d’avoir des bateaux autour et de ne pas naviguer tout seul. Depuis le dernier Vendée Globe, il y a une voile qui a été retirée de la configuration. On a le droit à 9 voiles. J’ai choisi de ne pas avoir de J1. J’ai un code 0 un peu hybride et une voile pour le Sud. C’est une voile qui permet d’aller vite et en sécurité dans la tempête. Je prends énormément de plaisir. Ce sont des bateaux incroyables, qui démarrent au quart de tour. Le solitaire c’est une pratique qui est grisante. Je suis très fier d’être sur ce Vendée Globe et je me sens de mieux en mieux.
J’ai déjà envoyé un mail à Vincent (Riou). Il nous a filé de bons coups de main pendant le montage du projet. C’est quelqu’un avec qui j’ai pu échanger beaucoup. Il a toujours été de bons conseils. On a eu l’occasion de s’avoir au téléphone en début de course. C’est dommage qu’il doive quitter la course si vite. Je comprends ce qu’il a eu. J’avais eu la même chose sur la transat St Barth-Port la Forêt. Ça peut s’arrêter vite. C’est un peu la roulette, ça peut arriver, il faut en être conscient. Je suis vraiment déçu pour Vincent."

Sébastien Déstremau, TechnoFirst-faceOcéan
"J’ai passé l’équateur hier. Depuis hier je suis dans les alizés. C’est bien stable. Il y en a pour quelques jours le long du Brésil avant le grand virage. Ça me parait normal que Didac (Costa) revienne. Nos bateaux ne vont pas à la même vitesse. Donc normalement il devrait revenir et même me doubler. Je ne sais pas à quelle distance il est. Le bateau ça va, je suis confiant. Après, c’est un bateau qui va à sa vitesse. On ne peut pas faire une Formule1 avec une 2cv. C’est le seul bateau à quille fixe. Il y a déjà deux nœuds d’écart avec une quille pendulaire. Il ne faut pas pleurer. Les performances du bateau ne seront jamais équivalentes à celles de mes voisins. C’est comme ça. Je me fais plaisir. Maintenant je suis en course, je fais au mieux que je peux avec les conditions que j’ai et le matériel que j’ai. Je ne préserve pas le bateau plus que nécessaire. Je ne me focalise pas sur la vitesse des autres. L’objectif numéro un c’est de finir, et le numéro deux c’est de gagner une place par semaine. Je suis très heureux de voir qu’on ne croise pas trop de pollution au large. Je n’ai pas vu grand-chose et ça me fait plaisir. On parle souvent d’un océan poubelle, et ce n’est pas ce que je vois avec mes yeux. Ça prouve qu’on prend conscience de l’importance de l’écologie. Je suis sûr qu’on va dans le bon sens. Nous on porte des messages car on montre l’exemple.
Ça me navre l’histoire de Vincent (Riou)… Et Bertrand de Broc et Vincent Riou, étaient mes voisins de ponton aux Sables d’Olonne, l’un à droite l’autre à gauche. Ça me fait beaucoup de peine. On a passé deux semaines de préparation ensemble. Vincent c’est quelqu’un de proche chez nous. Mon frère jumeau a beaucoup navigué avec lui. On est proches dans l’esprit. Mon bateau vient d’Afrique du Sud et j’ai envoyé un message à Cape Town pour leur dire que PRB était en train d’arriver et que s’ils pouvaient faire autant attention que ce qu’ils ont fait avec faceOcean, j’apprécierais leur amitié. Ça me fait beaucoup de peine pour Vincent."