03 Décembre 2016 - 13h58 • 17621 vues

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Joints à 10h, Armel Le Cléac'h (Banque Populaire VIII) et Sébastien Destremau (TechnoFirst-faceOcean) expliquent leur situation et leur vie en mer. De la densité du match en tête de flotte... aux problèmes de moteur en queue de flotte, le Vendée Globe se raconte de milles façons ! Kito de Pavant (Bastide Otio), lui, se prépare à affronter le gros temps et Romain Attanasio (Famille Mary-Etamine du Lys) s'impatiente de doubler pour la première fois le cap de Bonne Espérance...

Armel Le Cléac’h, Banque Populaire VIII
« On a entre 15 et 20 nœuds de vent de Nord-Ouest, et puis ça devrait se renforcer dans la soirée parce que le front devrait passer de l’Ouest au Sud-Ouest. C’en train de se couvrir là, c’est un peu plus foncé à cause d’un front qu’on a reçu un peu par derrière. Il fait un peu moins froid qu’aux Kerguelen, mais c’est toujours frais, ce n’est pas désagréable de gagner 2-3 degrés de plus ! La température de l’eau ça change un petit peu la donne. Je crois que j’ai fait 7 ou 8 empannages, c’était effectivement assez sportif hier  de longer la zone des glaces, on avait un vent qui était en train de tourner régulièrement, il fallait être du côté droit pour ne pas trop s’éloigner de la zone et puis empanner chaque fois pour gagner quelques degrés au niveau de la direction du vent. Ce qui permettait au fur et à mesure d’avoir un meilleur angle. C’était effectivement une partie plus sportive d’enchaîner comme ça les manouvres. Ce n’est pas le cas sur le Vendée Globe ! J’ai pu me reposer un peu après, une fois que le vent s’était calmé."

A propos des empannages
"Sur un empannage, le matossage est ce qui prend le plus de temps finalement. En 20 minutes c’est faisable, c’est assez rapide, il n’y avait pas non plus 40 nœuds de vent, on avait plutôt 20-25 nœuds de vent maximum. Mais en effet c’est le matossage qui prend du temps donc faut pas exagérer, faut pas forcément le faire tout le temps, c’est de l’effort de tout matosser à fond, répartir comme ça les poids."

Sur sa position en tête de flotte
"Je suis en tête ce matin parce que c’est l’anniversaire de mon fils aujourd’hui, j’ai voulu lui offrir un beau cadeau d’anniversaire, il a 6 ans aujourd’hui Edgar. Je lui avais promis que je serai en tête pour son anniversaire, donc il a fallu cravacher un peu pour revenir, j’étais encore il y a 2-3 heures avec Alex. On n’était pas très loin, les conditions se sont un peu dégradées donc on se voit un peu moins, mais je suis content de repasser en tête pour les 6 ans d’Edgar aujourd’hui ! Je l’ai eu tout à l’heure, on a fait une visio et puis il se préparait pour faire la fête avec les copains-copines cet après-midi ? Ce sera une après-midi bien festive et puis il va avoir des cadeaux aussi, il me racontera tout ça demain. De l’avoir eu au téléphone tout à l’heure pour lui souhaiter un bon anniversaire, c’était comme il y 4 ans, il avait eu 2 ans quand j’étais au Cap de Bonne Espérance donc là on n’est pas très loin du Cap Leeuwen qu’on devrait franchir lundi matin a priori."

Même intensité qu’avec François Gabart il y a quatre ans ?
"Il y a quelques similitudes concernant le match avec François (Gabart) il y a  4 ans. On alternait en tête de course, là c’est un peu le cas, même si pour l’instant il n’y a pas trop d’options météos à prendre, le couloir est assez étroit entre la zone des glaces et le front qu’on a au Nord donc oui c’est intense depuis le début, on n’a pas beaucoup chômé, on s’est vu tout à l’heure. Il y a 4 ans avec François, on s’était vu aussi mais plus tard dans le Pacifique. La route est encore longue, on n’est pas encore dans le Pacifique. On verra si c’est un scénario qui ressemble un peu à il y a 4 ans dans les mers du Sud. Mais la route est encore longue et semée d’embûches pour aller jusqu’au Cap Horn, déjà on va atteindre le Cap Leeuwin. Ca fait 1 mois qu’on est parti, donc c’est pas mal d’être aux avants postes."

"On s’est vu de visu avec Alex, on était à 2-3 milles l’un de l’autre, on était en train de manœuvrer. Nous n’avons pas eu l’occasion de s’appeler mais effectivement ce matin quand je suis sorti une heure avant, j’ai commencé à manœuvrer et j’ai vu son bateau devant.  Je n’avais pas vu le classement donc je me suis dit que c’était pas mal de le voir comme ça, et puis finalement on est repassé devant, on n’a pas les mêmes choix de voiles. On verra ce que ca va donner quand on va empanner ce soir."

A propos de sa toile…
"Je suis bien toilé (rires). Grand-voile haute, une belle voile d’avant, ça avance bien."

Sa forme physique
"Hier c’était pas trop la détente avec tous ces empannages et toutes ces manœuvres, là on va avoir quelques heures plus tranquilles, je vais pouvoir dormir un peu et puis écouter un petit peu des podcasts des compagnons des Grosses Têtes avec Laurent Ruquier qui m’accompagnent depuis quelques jours, j’écoute un peu ce qu’ils racontent comme histoires donc c’est assez sympa, ça met une petite ambiance à bord de Banque Populaire On est à moins de 1000 milles du Cap Leeuwin en termes de distance directe. On se rapproche un peu de toutes les terres, c’est bien ça permet d’avoir en tête qu’on est à portée éventuellement des secours en tout cas, du monde terrestre qui n’est pas trop loin. C’est plus rassurant que quand on était en plein milieu de l’océan Indien, à part les Kerguelen et la Marine Nationale ! Ca, c’était avec grand plaisir, c’était très sympa !"

 

Sébastien Destremau, TechnoFirst-faceOcean 
« Comme tu le sais le démarreur a brûlé, l’opération fil de fer n’a pas fonctionné comme prévu, on n’a plus de démarreur, on se retrouve dans la situation de Mich’ Dej’ en 2001 quand il n’avait plus de démarreur. C’est marrant, parce qu’on a bateau de la même génération et on a le même moteur. Du coup, on a téléphoné à Mich qui nous a beaucoup conseillé, il était très ouvert. On a pu faire des essais, des tests et essayer des solutions. Il nous a bien aidé. On a essayer d’enrouler un cordage autour d’une poulie de moteur et on fait courir ce bout jusqu’à l’extérieur du bateau et on l’accroche au bout de la bôme et on blinde tout ça et on largue la grand voile du coup ça lance le moteur. Sauf que ça ne marche pas aussi facilement que ça, il  y a trop de compression dans le moteur. En bref ça a marché une fois hier, aujourd’hui il n’y a pas assez de vent. 
On va rester en Atlantique, on ne va surtout pas aller se mettre dans l’autoroute de l’océan Indien avec une solution pas fiabilisée. On va rester par là tant qu’on n’a pas une vraie solution qui marchera quasi à chaque fois. Là, c’est trop au petit bonheur la chance. J’ai également une pale d’hydro cassée, je pense avoir toucher quelque chose. Si quelqu’un a une idée pour m’aider à remplacer une pale, pourquoi pas ? Mais ma priorité, c’est le démarrage du moteur.
Il n’y a pas de temps limite pour finir le Vendée Globe, donc je passerai le temps qu’il faudra, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de solutions. Ce qu’il faut, c’est aller au bout des choses, et on va aller au bout de ce qu’on peut faire. Mais on ne peut pas envisager de faire le Vendée Globe sans énergie. On va y arriver, de toute façon on n’a pas le choix. Quand on n’a pas le choix on y arrive ! En tout cas pour l’instant on est dans cet état d’esprit. »

Kito de Pavant, Bastide Otio
« C’est une super journée. On sait que ça va se gâter. Il n’y a pas de mer, du soleil, il fait un temps incroyable, on se croirait en Méditerranée avec du mistral ! Je marche entre 15 et 18 nœuds. J’ai fait une toilette ce matin, je me suis changé, je sais que pendant trois ou quatre jours je n’aurais pas l’occasion. J’ai remis des fringues neuves, le bateau est prêt. Tout est matossé, le vent va rentrer progressivement, la nuit va être agitée, et demain matin il y aura le passage du front. Ca va être rock n’roll pendant trois quatre jours. J’ai fait un peu de Nord depuis 24h pour éviter le gros de la dépression, je ne suis pas inquiet, on en a vu d’autres ! Je suis content d’être arrivé jusque-là, on sait que ça va être compliqué, mais j’ai confiance en mon bateau, je n’ai aucun souci, le bonhomme est en forme, je me repose bien depuis quelques jours… Les bateaux de devant vont très vite, ils enchaînent les systèmes météo, c’est incroyable les moyennes qu’ils arrivent à tenir, il ne doivent pas être loin du score de Joyon en trimaran il y a quelques années. Ils ont des supers machines, ils sont à 100%, les bateaux ont énormément progressé. La météo ajoutée à cela… Nous, on a pris les passages à niveau météo à l’envers. Mais, c’est génial pour ceux de tête, ça ne doit pas être facile physiquement. On n’est pas encore à la moitié du parcours, il peut se passer beaucoup de chose sur ce Vendée Globe. Il faut rester humble. »

Romain Attanasio, Famille Mary-Etamine du Lys
« Ca dépote, il y a 35 nœuds de vent, on est au portant, la mer est formée, il commence à faire froid et j’ai vu mes premiers albatros. Ca y’est, on est dans les mers du Sud, c’est velu comme on dit ! On a eu une météo incroyable de pas de vent dans l’atlantique sud, et là on a attrapé le train des dépressions, c’est la deuxième, le front m’est passé dessus ce matin. Vivement qu’on passe le cap de Bonne Espérance. J’essaye de m’accrocher au peloton, mais mon bateau est le plus vieux de la flotte, il a 18 ans.  Mon objectif est de finir, je ne veux pas faire n’importe quoi. C’est pour cela que je suis parti un peu au Nord. Je pianote beaucoup pour trouver la bonne trajectoire, je suis avec mon petit reacher, le bateau part en surf à 23 nœuds, en bas de la vague ça s’arrête, le bateau se couche. Il fait beau depuis que le front est passé. On est un peu sous l’eau, je regarde par la fenêtre. Je m’inquiète car j’en ai déjà marre des plats lyophilisés, il va falloir que je pêche ! »