17 Novembre 2020 - 19h38 • 60436 vues

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OSCAR, Wale Shield… Pour faire face aux risques d’Ofni, les objets flottants non identifiés, les skippers disposent à bord d’outils à la pointe de la technologie. Une avancée majeure, sans garantir pourtant le risque zéro de collisions. Explications.

C’est une appréhension qui vire à l’obsession. À bord, tous les concurrents du Vendée Globe ont une hantise, un doute qui ronge et avec lequel il faut vivre : le risque d’heurter un Ofni. Jérémie Beyou (Charal) a connu cette mésaventure en première semaine. Après avoir dû effectuer une réparation temporaire pour un problème de renvoi d’écoute, c’est après avoir heurté un Ofni qu’il a dû faire demi-tour vers les Sables-d’Olonne. C’est aussi un Ofni qui a ralenti grandement la vitesse de Maxime Sorel (V and B – Mayenne) dans la nuit de dimanche à lundi.  

« Il y a une vraie omerta sur le sujet » (Fabrice Amedeo)

Les Ofni ? Comprenez objets flottants non identifiés. Ce peut être une bouée, une bille de bois, un conteneur mais surtout un mammifère marin. « Il y a une vraie omerta sur le sujet entre nous pour des raisons d’image. Nous souhaitons démontrer à quel point nos aventures sont vertueuses, qu’elles sont en adéquation avec les préoccupations liées à l’environnement et dans le même temps, on risque d’heurter, blesser ou tuer des cétacés », confiait Fabrice Amedeo (Newrest - Art & Fenêtres) avant le départ.

Dans l’histoire du Vendée Globe, les abandons suite à des chocs avec des Ofni sont nombreux. Il y a quatre ans, ce sont eux qui ont eu raison de l’aventure de Morgan Lagravière (Safran 2) dans l’Atlantique, de Kito de Pavant (Bastide Otio) obligé d’abandonner son IMOCA en plein océan Indien ou encore de Thomas Ruyant (Le Souffle du Nord) au large de la Nouvelle-Zélande... Face à ces avaries, des solutions techniques existent pourtant.

« Des systèmes de caméras thermiques ont déjà été développés et testés lors des éditions précédentes du Vendée Globe, à l’instar de Marc Guillemot qui avait travaillé sur le sujet avec Safran », explique Catherine Chabaud. Participante au Vendée Globe à deux reprises et actuelle députée européenne, elle assure qu’il « n’y avait jamais eu autant d’ambitions mises dans un projet anti-collision avec autant de skippers ».

Un système pour l’automobile adapté à la course au large

Catherine Chabaud fait référence à OSCAR, embarqué à bord de 18 des 33 IMOCA de ce 9e Vendée Globe. Ce boitier rectangulaire placé en tête de mât est composé de trois caméras dont deux thermiques qui distinguent à la surface les différentes sources de chaleur dont les corps chauds des animaux marins. Le boitier ne pèse que 700 grammes et consomme 24 watts par heure. Surtout, sa portée de détection s’étend jusqu’à 600 mètres pour un objet de 4 mètres et 150 mètres pour un autre d’un mètre carré. Dès qu’il détecte un Ofni, une alarme se déclenche.

C’est un ingénieur allemand, Raphaël Biancale, qui a eu l’idée de ce système en 2013 alors qu’il traversait l’Atlantique. « Au cours d’une nuit venteuse, froide et pluvieuse, j’ai quitté le pont pour rejoindre ma cabine. Et j’ai réalisé que je n’avais aucune idée de ce qui flottait dans ce vaste océan », explique-t-il. Or, repérer les dangers dans un environnement proche n’a rien de futuriste pour l’industrie automobile. En effet, les systèmes de sécurité d’aide à la conduite (ADAS) permettent déjà d’y pallier en étant corrélés avec le frein automatique d’urgence.

Raphaël Biancale souhaite l’adapter pour le monde de la voile. Il réunit une quinzaine d’ingénieurs pour le développer et sollicite le soutien de Gaëtan Gouérou, alors délégué général de la classe IMOCA. C’est par l’intermédiaire de ce dernier que l’inventeur d’OSCAR rencontre des skippers. Jean Le Cam puis Vincent Riou, François Gabart ou encore Armel Le Cléac’h font part de leur enthousiasme et participent même à la rédaction de son cahier des charges. Désormais donc, 18 IMOCA en sont équipés. « C’est un nouvel œil sur la veille maritime », souligne Maxime Sorel (V and B-Mayenne). De plus, OSCAR fonctionne aussi grâce à l’acquisition de données. En somme, plus de marins en sont équipés, plus le système est précis et performant.

Des ultra-sons pour éloigner les mammifères marins

En plus d’OSCAR, quatre skippers de la flotte – Alex Thomson (HUGO BOSS), Boris Hermann (Seaexplorer - Yacht Club de Monaco ), Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) et Fabrice Amedeo (Newrest - Art & Fenêtres ) – disposent d’un système complémentaire : Wale Shield. Ce pinger, placé sur le bulbe de quille, permet d’éloigner les cétacés en émettant des ultra-sons dans un rayon d’un mile (1,6 km). Il a été développé en Australie par la société Futur Ocean qui équipe des filets de pêche afin de tenir à distance les dauphins qui peuvent en être piégés. Alex Thomson est le premier à l’avoir adapté sur son bateau. Fabrice Amedeo, qui l’a expérimenté une première fois lors de la Vendée Arctiques-Les Sables l’été dernier, est allé plus loin.

Le skipper de Newrest - Art & Fenêtres a en effet effectué le convoyage entre la Bretagne et les Sables-d’Olonne, avant le départ, avec Olivier Adam, bio-acousticien. Ce dernier a enregistré la signature acoustique du bateau. « Dans des conditions de mer plate et de vent moyen, le bateau est silencieux, furtif, et ne devrait pas attirer les cétacés », explique Olivier Adam. Mais pour avoir une vue globale, ces tests devraient être réalisés dans toutes les conditions. En effet, les 89 espèces de cétacés ont toutes des réactions différentes. Quand certains s’éloignent des bateaux, d’autres comme les cachalots, les baleines à bosses ou les rorquals s’en rapprochent.

« Ils n’ont pas peur de venir à proximité des bateaux parce que ces espèces sont curieuses de voir ce qui se passe à la surface », précise le bio-acousticien. Le risque zéro de collision n’existe donc pas avec ces systèmes embarqués. Fabrice Amedeo en convient : « tant que nous n’avons pas d’accident, on se dit que ça marche peut-être et le jour où on en a un, on dira que ça ne marchait pas. » La recherche en la matière se poursuit avec l’espoir, un jour, que les hommes du bord pourront cohabiter avec davantage de sérénité avec les cétacés qui peuplent les océans.


La rédac du Vendée Globe / Antoine Grenapin