17 Novembre 2012 - 18h32 • 2945 vues

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Contraint à l’abandon vendredi après une collision avec un chalutier mercredi, Louis Burton gardera quand même un bon souvenir de son premier Vendée Globe.

Louis Burton, on imagine que vous êtes un peu fatigué. Comment ça va moralement ?

La pression est retombée depuis que je suis rentré dans le port de La Corogne. Je suis hyper fatigué parce que j’ai quelques jours de mer dans les pattes et là il y avait tous les transferts à faire depuis La Corogne (pour revenir à Paris). Après, je suis déçu et content à la fois, car voir les gens du Vendée, voir l’équipe ça fait plaisir mais ça fait aussi bien prendre conscience que normalement je devrais être sur la mer avec mes camarades.

Vous êtes déçu mais est-ce qu’il n’y a pas aussi de la colère ? Vous nous aviez dit que ce que vous redoutiez plus que tout, c’était la casse matériel…

Oui il y a de la colère aussi mais c’est de la colère envers moi-même. Je n’ai pas de rancœur contre le pêcheur ou contre qui que ce soit, juste contre moi.

Pensez-vous que vous auriez pu éviter cette collision ?

On peut toujours éviter ce genre de chose. Quand on a un accident de voiture, tu te dis : « si j’avais freiné plus tôt… ». On peut toujours se dire qu’on aurait pu faire autrement. Alors oui, si j’avais mis un casque à visière et si j’avais regardé dehors, j’aurais pu le voir. Maintenant, pendant trois mois en solitaire, c’est techniquement impossible d’être en permanence en train de surveiller ce qu’il y a sur l’eau devant. Ça fait partie du risque, on le sait.

Tous les skippers ont déclaré que ce passage du Cap Finisterre était un enfer au niveau du trafic, êtes-vous d’accord avec ça ?

C’était le péage de Saint-Arnoult aux heures de pointe. Sauf qu’on le sait, on est cadré, c’est dans des rails donc ça monte, ça descend, c’est l’autoroute. Les cargos sont cul à cul. On connaît leur trajectoire car ils ont forcément leur AIS donc a priori il n’y avait pas de danger.

Quelle a été votre première sensation au moment où vous avez entendu le choc ?

Quand j’ai entendu le choc, j’ai cru que j’avais démâté. J’ai tourné la tête et j’ai vu que le mât était encore là mais aussi qu’il y avait un bateau.

 

« Je pouvais être de retour aux Sables en deux ou trois jours »

 

Le retour aux Sables d’Olonne était-il vraiment possible ?

Au début, je ne pensais pas. Ma première intention était de rentrer au port le plus proche pour ne pas démâter. Puis j’ai dormi afin de récupérer un peu. J’étais tracassé car je ne savais pas quel était le délai pour revenir aux Sables. Ensuite l’équipe m’a dit que j’avais dix jours pour revenir. Potentiellement, je pouvais être de retour aux Sables en deux ou trois jours. Du coup, Servane (Escoffier, sa compagne) m’a dit qu’elle allait faire tout son possible pour obtenir le hauban et faire venir un gréeur pour tout remplacer afin de pouvoir repartir.

Vous n’aviez pas peur d’être complément en marge de la course au sens propre du terme ?

La course est hyper longue. Quand tu regardes les écarts à la fin du Vendée Globe entre le premier et le dernier, il y a plusieurs milliers de mille. J’avais calculé que si j’arrivais à repartir à peu près une semaine après le départ officiel, j’aurais environ 2 500, 3000 milles de retard sur le premier. En plus, dans la flotte, il y a des bateaux moins rapides donc c’était envisageable de revenir dans une certaine partie de la course. D’ailleurs, ce challenge d’être derrière les mecs à leur tirer la bourre pour les rattraper, c’était un truc qui m’excitait assez.

Avez-vous quand même réussi à profiter de la course ?

C’était génial et j’ai profité à bloc. J’ai fait un départ sur lequel je me suis vraiment bien amusé. Ce n’était pas un objectif avoué de faire un gros départ car tout le monde me disait « mollo, mollo ! ". Mais s’il y avait moyen de faire un bon départ en se positionnant bien, c’est sûr que j’allais en profiter. J’étais bien sur la ligne, au bon endroit, au bon moment. Mon choix de voile était audacieux mais du coup j’avais une bonne vitesse et je pouvais relancer le bateau rapidement. Puis sur la première heure de course, j’étais beaucoup sur les réglages et le bateau avait la même vitesse que les autres donc c’est plutôt sympa. Ça prouvait à tout le monde que j’étais là. Par la suite, j’ai molli un peu mais ça ne me dérangeait pas car je n’avais aucune pression. Je pouvais mollir, anticiper quand je voulais et c’était vraiment agréable. Pour l’anecdote, j’ai continué à laisser tourner mon routage après avoir fait demi-tour et là où il me plaçait, c’était plutôt bien.

Pouvez-vous revenir sur votre arrivée à La Corogne ?

Je n’étais pas préparé à ça. Dans le bateau, je n’avais pas une seule aussière, une seule amarre et pas de pare-battage, seulement des gonflables. Je me suis retrouvé à gonfler mes pare-battages à la bouche. Après je suis arrivé à La Corogne dans la nouvelle marina que je connaissais parce que j’avais déjà fait escale en 2010. Il n’y avait personne. C’était vide, pas un bateau, juste des oiseaux et des mouettes partout. Les pontons étaient dégueulasses, remplis de fientes d’oiseaux. Quand tu arrives là-dedans tout seul, ça fait bizarre mais à la limite, ça ne me dérange pas. Pour moi, si tu es tout seul sur un bateau à voile, il faut que tu sois capable de tout faire seul. Il est primordial de savoir se débrouiller tout seul même dans des cas exceptionnels.

 

« C’est quoi cette histoire de malade »

 

Ça semble surréaliste ?

Complètement. Dans ta tête, tu es parti pour faire le tour du monde, quelque chose d’incroyable, et là tu te retrouves à finir dans un port fantôme (rires). En plus, je me suis cassé la figure dans de la merde de mouettes. Je me suis dit : « Où est-ce que je suis, c’est quoi cette histoire de malade ! »

Vous avez reçu un soutien incroyable de la part du public mais également de toute votre équipe, on imagine que ça fait chaud au cœur.

C’est du délire de voir tout ça. Pour moi, ce qui est très frappant, c’est de voir l’engouement des gens autour de cette épreuve et de notre sport. C’est hallucinant et là, ça a été une belle démonstration de ça. Après je veux souligner le fait que j’ai avec moi une équipe incroyable. Quand tout va bien, c’est facile d’être bon mais quand il faut gérer les moments difficiles, c’est là que tu vois la qualité des gens, que ce soit d’un point de vue humain ou professionnel.

Quel va être le programme maintenant ?

Là, je vais rentrer en Bretagne pour un peu de repos. Je vais retourner aussi à ma base pour récupérer le hauban qu’on avait envoyé aux Sables. Puis on va préparer le convoi pour retourner à La Corogne et réparer le hauban là-bas. En gros, nous serons en Espagne dans 5-6 jours, on aura 24h pour réparer le câble. Ensuite on va remonter en trois jours à Saint Malo. Puis viendra l’heure de Noël et du jour de l’An, ainsi que l’anniversaire de mon fils, Lino.

Est-ce que votre abandon remet en cause votre partenariat avec Bureau Vallée ?

J’étais avec mes partenaires tout à l’heure, on a calé une réunion de travail dans huit jours. Je crois que tout le monde a très envie de continuer dans la même voie. Tous ensemble, entre le team, BG Race et Bureau Vallée, on est une seule et même équipe. Je n’ai jamais pris en traitre les partenaires, ils connaissent le Vendée Globe donc ils savaient qu’il y avait eu 60-70% d’abandons au dernier Vendée. Ce sont des gens intelligents et on avait parlé de cette possibilité d’abandon au début. C’est dans la difficulté que tu reconnais la valeur des gens et mon équipe et mes sponsors sont des gens de valeur. On était tous encordés ensemble pour gravir cet Everest. Là il y en a un qui est tombé, les autres tirent.

Allez-vous continuer à suivre la course ?

D’un côté, j’ai envie un peu de me détacher car je me dis que je ne suis plus dedans et c’est difficile. Mais je sais que ça sera impossible car j’ai des potes qui y sont donc ça m’intéresse de savoir ce qu’ils font. Ensuite, c’est une course géniale. Cette année, j’avais la chance de faire partie des 90 mecs qui ont eu un jour en 20 ans la chance de s’aligner sur cette course. Je l’ai toujours suivie en tant que spectateur et au final, je la suivrai encore comme ça cette année. Sauf qu’en plus, je pourrai envoyer des blagues à mes copains en mer car maintenant j’ai leurs adresses mail (rires).


Arthur GUYARD