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Anticyclone, tu perds ton sang-froid

On aurait été surpris que la vie reste une longue ligne droite tendue vers l’objectif. Enfin, un peu de sinuosité dans ce monde d’efficacité rectiligne ! Si la bataille des recalages fait rage dans la première moitié de la flotte, qui voit gonfler dangereusement l’anticyclone de Saint-Hélène dans son Sud, la deuxième moitié a sorti le spi pour glisser derrière lui et se positionner stratégiquement en vue du futur vent… Car oui décidément, « les grosses bourdes sont là, sur l'échiquier, attendant d'être commises. »

LE 28 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 28 novembre 2024. (Photo du skipper Romain Attanasio)
LE 28 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 28 novembre 2024. (Photo du skipper Romain Attanasio)

Commençons par l’essentiel : ils sont tous dans le Sud ! A 20 h 49 TU – « temps universel », pour les enfants qui nous lisent, car on le rappelle que nos marins se déplacent tellement sur la planète qu’ils changent d’heure comme de chemise, et que parler en « TU » permet ainsi de remettre les pendules à l’heure, si l’on puit dire -, Szabolcs Weöres (New Europe, 39e) a franchi l’Equateur. Le héros des Canaries, contraint de mouiller dans la baie de Las Palmas pour réparer ses voiles, poursuit ainsi sa longue route qui s’était pourtant mal engagée, prouvant qu’à cœur vaillant, et avec deux-trois notions de couture, rien n’est impossible !

Ils sont donc tous dans le Sud, et c’est aussi du Sud que, pour le gros de la flotte, vient le chambardement ! Après avoir été écrasé par la dépression, l’anticyclone de Sainte-Hélène, cette zone de haute pression caractéristique de l’Atlantique Sud, est de retour dans le jeu, bien décidé à rappeler les marins à leurs bonnes manœuvres. 

Ainsi donc cette dix-neuvième nuit en mer (on verra si on arrive encore à tenir le fil sur la durée, déjà qu’on n’a plus assez de doigts pour compter) fut l’occasion de nombre d’empannages. Tête en haut, tête en bas : nous qui avions laissé notre flotte bien rangée à la queue-leu-leu vers le Cap de Bonne Espérance la retrouvons au petit matin lancée dans de sacrés déhanchés ! 

A ce petit jeu-là, Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 10e) n’a pas été si mal servie pour l’heure, et nous racontait à l’aube : 
 


La transition, je suis en plein dedans, et jusque-là ça se passe relativement bien. Il n’y a pas de gros trou de vent pour l’instant et en théorie dans les heures à venir il ne devrait pas y en avoir trop non plus, mais j’ai dû faire quelques changements de voile quand même.

Samantha Davies
Initiatives-Cœur

Derrière, l’opération semble un peu plus complexe pour se maintenir dans l’étroit couloir de vent, et les voilà tous à dessiner de jolis escaliers aux marches plus ou moins violentes à descendre. Pour être sûre de ne pas en rater une, Isabelle Joschke (MACSF, 19e) a d’ailleurs préféré, elle, plonger en un long bord tête la première vers le Sud-Est, quitte à s’éloigner un peu plus de sa route. Objectif ? Traverser au plus tôt l’anticyclone pour être la première à retrouver du vent derrière. 

Régate bien groupée

Car oui, la dépression suivante arrive, et sera bien à l’heure pour cueillir le groupe mené par Arnaud Boissières (La Mie Câline, 20e) et Louis Duc (Fives Group -Lantana Environnement, 21e) qui, sur son bateau à dérives de 2006, montre tout l’étendue de son talent. Car c’est une régate d’une redoutable intensité qui se joue dans ce paquet encore bien serré, où ce n’est pas tant la vitesse que le placement qui permet de prendre l’ascendant. Ce n’est pas parce qu’on est lancé dans un tour du monde qu’on en oublie ses réflexes de régatier ! 

Deux-cent milles derrière ce match, Guirec Soudée (Freelance.com, 32e) ronge d’ailleurs un peu son frein, lui qui n’a pas eu de réussite dans le franchissement du Pot-au-Noir et rumine depuis son retard : 
 


Il y a de la frustration oui, je vais pas vous mentir ! J’ai pas l’impression d’être hyper aidé par la météo, la nuit dernière j’ai fait cinq changements de voiles, là aujourd’hui c’était un peu plus régulier, mais je comprends pas tout quand même… J’aimerais forcément bien rigoler un peu plus avec ceux qui sont devant, mais je sais qu’on a fait qu'un tout petit morceau de chemin et que là on va rentrer dans le vif du sujet et qu’il va se passer beaucoup de choses ! Les conditions dans lesquelles je suis le meilleur, c’est dans le vent fort !

Guirec Soudée
FREELANCE.COM

28 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau TeamWork - Team Snef lors de la course à la voile du Vendée Globe, le 28 novembre 2024. (Photo du skipper Justine Mettraux)
28 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau TeamWork - Team Snef lors de la course à la voile du Vendée Globe, le 28 novembre 2024. (Photo du skipper Justine Mettraux)

Mais ne pensez pas que ce petit temps de transition est l’occasion pour nos marins de se reposer, au contraire. En bons stakhanovistes, ils y voient même une opportunité de « faire les petits boulots sur le bateau », racontaient ainsi Samantha Davies et Guirec Soudée. Non pas qu’ils soient tous les deux très éclopés, mais justement ! Comme chacun le sait, ou devrait s’en rappeler, c’est en soignant les petits problèmes qu’on évite d’en avoir des gros. « Le timing est parfait avant les mers du Sud », se réjouissait ainsi la navigatrice britannique au point de nous faire nous demander si, une fois encore, ce scénario n’était pas un peu trop parfait pour être vrai (mais on est content pour eux) !  

« une configuration très bizarre avec le bateau »

Devant aussi, les conditions se sont un peu calmées et permettent de venir reprendre le pouls de ces bateaux poussés ces derniers jours au maximum de leur palpitant. Ou pas, selon Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 4e), nouveau « Rocketman » du monocoque en solitaire, qui revient pour nous sur son record à 615,33 milles (soit 1139,6 kilomètres) en 24 heures : 
 


J’avais trouvé une configuration très bizarre avec le bateau, j’en dirai pas plus mais le bateau marchait tout seul, j’avais pas l’impression de tirer dessus comme une bête non plus, des fois j’ai fait des manœuvres pour changer de voiles et pas endommager le bateau, pour aller faire des check-ups sur le pont, j’ai fait une marche arrière aussi parce que j’avais un truc dans la quille, donc ça aurait pu être un peu plus !

Sébastien Simon
Groupe Dubreuil

A en croire le skipper sablais, ça semblerait presque facile. Comment explique-t-il alors avoir repris autant de milles sur le leader Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 1er) et ses dauphins, Thomas Ruyant (VULNERABLE, 2e) et Yoann Richomme (Paprec Arkea, 3e) ?


Je soupçonne les trois premiers d’avoir eu des vrais soucis techniques parce que pour le coup je les ai vraiment trouvés lents, et les connaissant je sais qu’ils sont capables de bien plus que ça, donc je serais pas surpris qu’ils aient eu des vrais pépins !

Sébastien Simon
Groupe Dubreuil

S’ils n’en ont pas eu, en tous cas, ils doivent sentir le vent du boulet. Mais Sébastien Simon  essaie de ne pas céder à l’euphorie de ce retour en force, et reste lucide, surtout quand on le fait réagir sur les propos de Yoann Richomme voilà deux jours qui s’exclamait : « Je n’aime pas trop ce groupe qui bombarde n’importe comment, j’en fais partie hein mais je trouve qu’on ne va pas pouvoir durer comme ça deux mois ! ». Son avis ? 


Ca me fait marrer que ce soit Yoann qui dise ça parce que c’est quand même le plus bourrin d’entre nous depuis le Figaro, on le connait bien pour ça ! Après c’est vrai que quand on pousse la machine, ça devient vite plus drôle du tout, on a envie que ça s’arrête, que le bruit se calme, de pouvoir aller dormir sereinement. Mais j’ai pas trop peur, en vrai c’est des bateaux qui ont été bien éprouvés, j’ai confiance dans ma machine, je sais à quel moment je peux pousser et à quel moment ne pas le faire. Par exemple, j’ai pas fait partie de ceux qui l’ont poussé au passage du cap Finisterre parce que la mer était mauvaise. Maintenant chacun fait sa course, l’objectif pour moi c’est d’aller au bout, j’aimerais arriver en cap Horn avec un bateau en bon état, et là on verra ce qu’on est capable de jouer sur la remontée de l’Atlantique, mais pas avant ! Là ça va être un mois de course très très long, il faut garder ses objectifs en tête.

Sébastien Simon
Groupe Dubreuil

Et on ne peut pas s’empêcher de le quitter en chantonnant la mélodie d’Elton John : « Rocket man / Burning out his fuse up here alone / And I think it's gonna be a long, long time » (homme fusée, brûlant son fusible seul tout là-haut, et je pense que ça va être très très long). C’est bon, vous l’avez bien dans la tête aussi ? 

28 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Charal lors de la course à la voile du Vendée Globe le 28 novembre 2024. (Photo du skipper Jérémie Beyou)
28 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Charal lors de la course à la voile du Vendée Globe le 28 novembre 2024. (Photo du skipper Jérémie Beyou)

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