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Une punition déguisée en carte postale

On nous vend les alizés comme une autoroute maritime, un tapis roulant magique où les bateaux glissent paisiblement sous un soleil radieux. Une brise régulière censée porter les marins sans effort. Et pourtant... Les skippers du Vendée Globe vous le diront : c’est une véritable escroquerie ! Une publicité mensongère digne des pires arnaques télévisées ! De nombreux solitaires l'ont confirmé, comme Antoine Cornic (HUMAN Immobilier), qui, pas plus tard qu’hier à son arrivée aux Sables d’Olonne, a décrit la portion du parcours entre l’équateur et les Açores dans ces fameux flux de nord-est, comme l’une des plus éprouvantes de son tour du monde. Car au-delà des promesses idylliques, la réalité est bien différente. Les vagues croisées, les grains traîtres et le vent capricieux transforment cette prétendue autoroute en un champ de bataille permanent. Ce ne sont pas des kilomètres avalés sans effort, mais une succession de coups encaissés. Manu Cousin (Coup de Pouce), Fabrice Amedeo (Nexans – Wewise) et Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group), dont le système électronique malmené par cette agitation incessante fait des siennes, ne peuvent que confirmer. Plus au nord, près du cap Finisterre, Oliver Heer (Tut Gut.) et Jingkun Xu (Singchain – Team Haikou) ne sont pas exactement à la fête non plus. Ils luttent contre une météo aussi instable qu’imprévisible qui refuse de leur accorder la moindre pause. Les vents jouent aux montagnes russes, oscillant entre accalmies trompeuses et rafales brutales. Mais pour eux, l’horizon se rapproche : l’arrivée est à moins de 600 milles.

LORIENT, FRANCE - 23 SEPTEMBRE 2024 : Tut Gut. Le skipper Oliver Heer (SUI) à l'entraînement, le 23 septembre 2024 au large de Lorient, France - Photo Richard Mardens
LORIENT, FRANCE - 23 SEPTEMBRE 2024 : Tut Gut. Le skipper Oliver Heer (SUI) à l'entraînement, le 23 septembre 2024 au large de Lorient, France - Photo Richard Mardens

« On est bien loin de l’image parfaite des alizés ! Descendre avec eux, c’est une chose, mais les remonter au près, c’est un enfer. Cette fois, il n’y a aucun répit, et il me reste encore trois ou quatre jours à endurer ces conditions éprouvantes. J’espère que le bateau tiendra bon, mais à chaque impact, le doute s’installe. La mer est impitoyable et chaque vague rappelle combien elle peut être cruelle. Tant qu’on la descend, on minimise sa violence. Mais face à elle, on comprend immédiatement qu’elle broie aussi bien les machines que les nerfs », confie Denis Van Weynbergh. Son témoignage illustre parfaitement l’écart entre l’image idéalisée des alizés et la réalité furieuse que vivent les skippers engagés dans cette remontée vers le nord. Si, lorsqu’ils les poussent dans le bon sens, ces flux réguliers offrent une avancée presque fluide, tout change lorsqu’il faut les affronter de face. Fini les surfs grisants sur des houles bien orientées, place à une lutte acharnée contre une mer chaotique et un vent qui ne fait aucun cadeau. Ici, chaque mille gagné exige un effort incessant, chaque manœuvre devient une bataille contre un bateau secoué de toutes parts. Et puis, il y a l’usure. Celle du matériel, soumis à des chocs répétés qui font trembler la coque et mettent les gréements à rude épreuve. Celle du skipper, dont le corps est mis à mal par le roulis incessant, le fracas des vagues qui explosent contre l’étrave et l’humidité omniprésente qui s’infiltre partout. À bord, ni répit ni confort, juste un marathon où chaque instant puise dans les réserves, une épreuve d’endurance qui ressemble à une tentative désespérée de faire la sieste sur un taureau mécanique réglé en mode aléatoire.

Météo capricieuse et incertitude totale

Pendant que certains bataillent contre une mer chaotique, d’autres doivent aussi composer avec des douleurs persistantes. Jingkun Xu, lui, lutte toujours contre une épaule meurtrie qui rend chaque mouvement plus pénible. 


La douleur est constante, et je ne peux rien faire. Ces derniers jours ne sont pas faciles. Il y a toujours beaucoup de risques et de défis. Le moindre incident peut mener à l’abandon, même si proche du but !

Jingkun Xu
SINGCHAIN TEAM HAIKOU

Et comme si l’inconfort physique ne suffisait pas, la météo vient ajouter son lot d’incertitudes. « L'instabilité complique encore davantage la navigation. Les prochains jours s’annoncent délicats, car le golfe de Gascogne reste l’un des endroits les plus redoutables au monde. Pourtant, l’excitation monte à mesure que la ligne se rapproche. Je scrute sans cesse la distance restante, recalculant en permanence mon heure d’arrivée. » Mais les imprévus ne s’arrêtent pas là. Les avaries s’enchaînent, et il faut redoubler d’ingéniosité pour ne pas compromettre les derniers milles. « Mon moteur étant hors service et irréparable, j’ai dû remettre en état mon hydrogénérateur pour continuer à recharger les batteries. Cependant, son bon fonctionnement m’oblige à ralentir régulièrement. Actuellement, les conditions sont exigeantes, avec des rafales oscillant entre 18 et 38 nœuds, rendant la progression d’autant plus complexe ».

Derniers milles sous tension

Plus au nord, Oliver Heer doit composer avec une autre contrainte : le trafic maritime. Entre cargos et pêcheurs, il passe plus de temps à esquiver qu’à progresser sereinement. « Il y a pas mal d’air, le bateau avance assez vite, ce qui est une bonne chose, mais la navigation est assez intense. Je suis au reaching dans une houle assez importante, et il y a beaucoup de monde autour de moi. Je dois rester très vigilant », précise le navigateur suisse.


Jusqu’à demain midi, j’aurai un vent bien établi, solide, mais ensuite, il devrait se calmer très rapidement. Je me prépare au pire, ce qui pourrait signifier une arrivée lundi matin.

Oliver Heer
Tut gut.

Les prévisions ne laissent malheureusement pas beaucoup de place au doute : le vent va effectivement sérieusement mollir en approche des Sables d’Olonne. L’espoir d’une arrivée dimanche soir s’éloigne peu à peu, remplacé par une réalité bien moins réjouissante : une dernière ligne droite interminable, où chaque mille avancé demandera une patience extrême. Et ce ralentissement ne concerne pas que le skipper de Tut Gut.. Le Chinois, lui aussi, devrait se retrouver prisonnier de cette accalmie généralisée.

Quand l’attente devient l’ennemie

Dans ce contexte, un ultime défi risque de s’imposer : l’attente. Après avoir bataillé contre les éléments, encaissé tempêtes, avaries et nuits sans sommeil, cette fois, c’est l’immobilité qui pourrait devenir leur pire adversaire et transformer leur fin de parcours en ce fameux dernier kilomètre d’un footing qu’on aurait préféré éviter : celui où les jambes brûlent, où chaque pas est une torture, mais où la ligne d’arrivée est là, alors on serre les dents. Pour eux, comme pour les autres, l’arrivée sera un soulagement, mais elle n’effacera la rudesse de cette course. Car chaque skipper le sait : le Vendée Globe est une onde de choc permanente, où l’on encaisse plus qu’on ne savoure, et où chaque instant peut basculer du rêve au cauchemar. Pourtant, malgré l’épuisement et les épreuves, une fois la ligne franchie, un sentiment étrange demeure. Cette aventure hors norme, c’est une boîte de chocolats périmés : on sait qu’on va tomber sur des morceaux douteux, certains franchement immangeables, mais on continue à piocher. Et une fois à terre, malgré tout, un petit sourire en coin trahit l’envie folle de replonger la main dedans.


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