Plus un souffle d’air. Après avoir longuement hésité, le bateau s’est arrêté. Le Pot au noir, on y est. Plus qu’à attendre.
On dirait qu’il s’est posé là, sur cette mer lisse où les relents d’une improbable houle ondulent ses reflets argentés. Les voiles, vides d’air, ballottent, lamentablement.
Et le silence, un silence lourd, épais, étrange, un silence si présent qu’il en devient assourdissant. On dit que le silence repose, mais ici, au milieu de nulle part, il fatigue et inquiète. Car depuis le départ, le bruit était tellement présent qu’il était devenu compagnon, un compagnon certes un peu envahissant mais qui voulait dire vitesse, stratégie, action. Plus c’est fort, plus c’est vite. Qui pourrait s’en plaindre.
De temps en temps, le choc de l’écoute qui se tend sur la poulie ou le froissement des voiles ponctue cette parenthèse muette. Impression d’être ailleurs, englué dans un autre monde, dans un désert immobile où le temps s’est arrêté, pour toujours. Lugubre.
La chape de plomb brûlante au-dessus de la tête va bien finir par se déplacer. La course au large c’est l’école de la patience, de l’humilité et de la frustration. On se dit qu’il faut être le dernier des imbéciles pour être venu se fourrer dans cet endroit. Les autres ont du vent, eux, c’est sûr. Rien de plus énervant. On tourne en rond, un tour sur l’ordinateur et les fichiers météo, un tour sur le pont. Solaires vissées aux yeux, casquette plaquée sur le front, on scrute l’horizon. Pas de voile, mais là-bas des cumulus. Le rideau de pluie qui tombe de leur base sombre est promesse de rafales musclées. Mais comment aller les rejoindre ? Leur direction incertaine oblige à naviguer à la fortune du Pot et sans broyer du noir. Pas simple. D’après les fichiers, cette Zone de Convergence Inter Tropicale communément appelée Pot au Noir semble étroite et peu active. Y croire. Un manque de Pot qui serait un vrai coup de chance.
Sous ce soleil vertical et implacable, la chaleur est intense, lourde, difficile à supporter. A l’intérieur, dans cette cabine en carbone sans isolation ni aération, la température avoisine les 50°. Fournaise irrespirable.
Chaque geste demande un effort. Avec la transpiration, la peau est moite et collante. Tout à l’heure, la douche d’eau de mer n’a apporté qu’une fraîcheur éphémère. Une fois évaporée, reste le sel qui brûle et démange. Il va falloir se rincer à l’eau douce, au minimum, économie oblige. Dire qu’il y a quelques jours, on était encore en polaire et en ciré !
Le décalage climatique est brutal, il est d’autant plus difficile à vivre. L’adaptation à la chaleur ou au froid est une lourde épreuve pour l’organisme, tout comme le décalage horaire. Le terrien sédentaire homéotherme que nous sommes n’est pas conçu pour s’accoutumer instantanément à ces changements rapides. L’acclimatation demande une dizaine de jours. Juste le temps de se sentir bien et on sera déjà dans les froidures du Grand Sud !
En attendant, il faut vivre dans l’étuve et boire. Boire pour compenser la transpiration indispensable à la régulation thermique interne. La sueur, ce sont des gouttelettes d’eau secrétées par les deux millions de glandes sudoripares de la peau. Leur évaporation évacue la chaleur du corps en excès. La perte en eau peut atteindre plus d’un demi-litre par heure les premiers jours. Pour accélérer ce transfert calorique, les capillaires cutanés se dilatent. La peau est rouge, chaude, gonflée.
Mais attention, à l’équateur dans l’air saturé d’humidité, l’évaporation est quasi impossible. Alors le système s’emballe. La transpiration peut consommer jusqu’à 12 litres d’eau par jour ! Boire devient vital et les douches d’eau de mer sont indispensables pour calmer le jeu et évacuer le trop plein de calories.
La sudation et les vaisseaux dilatés sur près de 2 mètres carrés de surface de peau, ce sont 15 litres de sang qui circulent à chaque minute dans l’enveloppe de notre corps. Autant de sang en moins pour les muscles et les neurones. Avec à la clé, des crampes pendant les manœuvres et même parfois des vertiges ou des malaises. Le mieux est encore d’en faire un peu plus la nuit, quand c’est possible. Sans être assommé par la chaleur, les idées sont plus claires et les manœuvres moins pénibles.
Et boire, encore, encore et toujours. Boire avant d’avoir soif. La soif c’est le signe précurseur de la déshydratation. Un manque d’un litre et demi d’eau dans le corps, c’est 20% de capacités physiques et mentales en moins. Trois litres, 40%. De quoi y réfléchir, un verre à la main. Et boire sans oublier d’y ajouter un peu de sel. Le plus simple est sans doute quelques gorgées d’eau de mer. Et de cette eau là, pas besoin d’aller bien loin pour en trouver !
Dr Jean-Yves CHAUVE