N'ayant pas trouvé de partenaire principal pour boucler son budget, Nicolas Boidevézi a revendu son IMOCA au Japonais Kojiro Shiraishi. Le marin alsacien ne participera donc pas au prochain Vendée Globe, mais ce n’est sans doute que partie remise. De la genèse de son projet à la revente du bateau, le récit de Boidevézi permet de saisir la complexité des recherches de sponsors, de comprendre aussi qu’être au départ du tour du monde en solitaire constitue déjà une victoire en soi.
Les regrets, très peu pour lui. Nicolas Boidevézi n’est pas amer. Il a tout donné, travaillé jour et nuit pour prendre le départ du Vendée Globe en 2016. « Je ne suis pas du sérail, j’ai grandi dans les terres, là où le tour du monde en solitaire semble un rêve inaccessible », raconte-t-il. « Je suis parti de zéro mais j’ai construit petit à petit. Après quatre saisons complètes en prototype Mini 6.50, je me sentais armé pour monter un projet Vendée Globe. J’avais de l’expérience en tant que skipper, des compétences dans la gestion de projet. Tous les feux étaient au vert, même si je savais qu’aller au bout serait un challenge énorme. »
Un bateau mais pas de partenaire principal…
Dès 2013, Nicolas active son réseau, agrège un certain nombre de soutiens. Fin 2014, il prend les devants pour acheter un 60 pieds IMOCA. « Le risque était grand d’avoir un budget mais pas de bateau disponible car il y avait à l’époque plus de demandes que d’offres », explique-t-il. Grâce au soutien de l’un de ses partenaires (dont il ne © Nicolas Boidevézisouhaite pas divulguer l’identité), il signe en avril 2015 l’achat de l’ex Hugo Boss, avec lequel Alex Thomson a terminé 3e du dernier Vendée Globe. Acquérir une plateforme aussi performante constitue pour Boidevézi une belle récompense du travail accompli. « L’achat du bateau a permis d’entrer dans une phase plus concrète. J’ai gagné en crédibilité, en légitimité. C’était un plus en termes d’image pour convaincre d’éventuels sponsors. Avant, je n’avais qu’un PDF à présenter. Disposer d’un bateau changeait considérablement la donne. D’autant que ce 60 pieds avec un vrai potentiel de performance me correspondait en tous points, c’était un bon compromis. En peu de temps, je n’ai fait qu’un avec la machine. Je ne me suis jamais senti dépassé, au contraire. »
Mais il manque toujours le ou les partenaires majeurs pour sécuriser le budget de fonctionnement pour un programme Vendée Globe, avec au préalable des participations à la Transat Jacques Vabre, la Transat Saint-Barth/Port-la-Forêt et la New York/Vendée. Nicolas reste toutefois confiant, comme l’attestent ses propos recueillis à l’été 2015 dans nos colonnes : « Nous sommes dans une dynamique positive. Je ressens un vrai élan autour du projet. Il suscite de l’enthousiasme et de l’engouement auprès du public et des partenaires. Les gens adhèrent et se fédèrent autour de notre projet. Des sponsors secondaires ainsi que des partenaires techniques et des fournisseurs sont déjà engagés. Nous sommes en discussions avancées avec des collectivités territoriales et des sociétés privées ». Le skipper est motivé, l’équipe structurée, le bateau performant, tout est réuni pour attirer un sponsor. Mais pourtant ça coince toujours. « Monter un projet Vendée Globe, c’est de l’entreprenariat pur et dur », souligne Nicolas. « Comme pour les start-up, lever des fonds reste l’un des sujets les plus compliqués. Que l’on vende le Vendée Globe ou la nouvelle brosse à dents vibrante, on se retrouve confronté aux mêmes problématiques. »
Bien que n'ayant pas encore trouvé son financement, Nicolas Boidevézi boucle son dossier d'inscription au Vendée Globe 2016. « Il n’y avait pas d’ambivalence possible. Je ne me voyais pas démarcher les partenaires en disant que je serai « peut-être » au départ du Vendée Globe. Dire que j’y serai à coup sûr me semblait beaucoup plus engageant © Nicolas Boidevézi», justifie le skipper qui prend en octobre 2015 le départ de la Transat Jacques Vabre avec l’Américain Ryan Breymaier. Rapidement contraint à l’abandon, Boidevézi remporte toutefois une deuxième grande victoire (après l’achat du bateau) en s’alignant sur l’une des courses majeures du circuit IMOCA.
En décembre 2015, il loue son IMOCA à Morgan Lagravière pour la Transat Saint-Barth/Port-la-Forêt. Cela lui permet de rentrer de l’argent mais le partenaire principal tant attendu ne se manifeste toujours pas. « Beaucoup de dirigeants ont une vision court-termiste du sponsoring. Or nos projets nécessitent de l’investissement à moyen et long terme. Ce décalage dessert nos projets », constate-t-il.
Revendre le bateau, une décision difficile mais raisonnable
Le timing s’accélère et Nicolas Boidevézi sait qu’il ne pourra pas garder son IMOCA éternellement. « Il a toujours fallu rester très alerte, attentif pour pouvoir retomber sur nos pattes par rapport aux investissements, pour préserver tous les intérêts agrégés autour du projet », souligne-t-il. « Il fallait déterminer à partir de quand le curseur risque deviendrait si important qu’il serait irraisonnable de continuer. Certains alpinistes font demi tour à dix mètres du sommet car s’ils continuent ils y laissent leur peau. J’étais à 10 mètres du sommet, mais aller plus loin se révélait trop risqué d’un point de vue financier. »
Nullement hâtive, la décision de revendre le bateau est à l’inverse réfléchie. L’IMOCA de Nicolas a une valeur sur le marché car le timing permet encore à un skipper de respecter le programme de qualification pour le Vendée Globe 2016. Nicolas Boidevézi : « J’ai reçu deux offres, celle du Japonais Kojiro Shiraishi mais aussi celle d’un skipper anglais (dont Nicolas ne révélera pas le nom, NDR). J’ai ainsi pu négocier pour que la vente soit intéressante et cohérente par rapport aux investissements réalisés depuis l’achat de l’ex Hugo Boss. » Nicolas met un point d’honneur à ne pas léser ses partenaires et les différents acteurs avec qui il a travaillé. « Dans ce projet, je n’ai pas perdu d’argent, tout le monde a été payé, personne n’a été planté. »
« J’ai gagné beaucoup de batailles »
Forcément déçu de ne pas dévaler les mers du Sud cet hiver, Boidevézi a néanmoins beaucoup appris. « Je suis parti de loin et accomplir tout ce que j’ai accompli est déjà une victoire. J’ai gagné beaucoup de batailles depuis le lancement de ce projet. C’est tout sauf un échec. En mettant les pieds dans le circuit IMOCA, j’ai vécu une expérience d’une richesse professionnelle et humaine incroyable. J’y ai laissé beaucoup d’énergie, j’ai fait des concessions sur le plan personnel. J’ai certainement commis des erreurs qu’il faudra analyser avec un peu de recul. C’est la dure réalité de l’entreprenariat : on se bat, on chute, on se relève, on rechute, on se relève et on continue à avancer. »
La vente du bateau ne marque pas une rupture. Si Nicolas Boidevézi a prévu de souffler un peu, il reste en discussion avec des partenaires. Il n’exclut pas de rester proche d’une équipe qui prépare le prochain Vendée Globe. A plus long terme, il envisage une participation à la neuvième édition, en 2020. « J’ai pu constater que les IMOCA sont des machines incroyables », dit-il. « Mon envie de faire le tour du monde sur un tel bateau est décuplée. Ce n’est que partie remise. Je suis toujours en course, c’est ma vie. »
OB / Mer & Media